Monthly Archive 28/03/2019

Boycott économique total ou partiel ? Que veut BDS?

Pourquoi BDS appelle-t-il au boycott économique total d’Israël et pas uniquement des produits fabriqués dans les colonies implantées en Cisjordanie occupée ?  La réponse à cette question doit être recherchée du côté de l’objectif du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte (1).

L'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies

L’Union européenne a pris la décision en 2015 d’étiqueter les produits originaires des colonies israéliennes implantées en Cisjordanie occupée au grand dam du gouvernement israélien (2). Cet étiquetage est un signal politique clair envoyé par les pays européens à l’Etat hébreu, une ligne rouge : les colonies sont jugées illégales au regard du droit international. Partant, les produits qui y sont fabriqués ne sont pas des produits fabriqués en Israël et ne peuvent pas bénéficier des accords de libre-échanges et des tarifs douaniers préférentiels conclus entre Israël et l’Union Européenne.

L’idée selon laquelle la communauté internationale doit faire pression sur Israël pour conclure un accord de paix avant qu’il ne soit trop tard peut paraître séduisante pour certains partisans d’une solution à deux Etats. Cette pression aurait pour objectif de corriger le rapport de force en faveur de la partie palestinienne la plus faible en forçant Israël à accepter un compromis historique équilibré qui satisfasse in fine les deux parties. Dans le cadre de cet horizon politique, l'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies pourrait se révéler un moyen d’action efficace, n’en déplaise aux Israéliens.

Le boycott économique total

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, le collectif palestinien BDS n’appelle pas au seul boycott des produits fabriqués par des entreprises israéliennes dans des colonies implantées en Cisjordanie occupée mais demande aux consommateurs occidentaux de boycotter toutes les entreprises israéliennes et toutes les entreprises occidentales qui participent activement à l’économie israélienne (3).

Cet appel au boycott intégral doit être mis en perspective avec les objectifs du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte. BDS est un mouvement qui se revendique radicalement antisioniste. Il considère que le caractère juif de l’Etat d’Israël doit être abandonné, de gré ou de force, par les Israéliens, car il empêche l’autodétermination du peuple Palestinien. La résolution du conflit israélo-palestinien passe donc de facto par une solution à un seul Etat et non pas par une solution à deux Etats. Dans le cadre de cet horizon politique où la paix se fait sans Israël, le boycott intégral prend tout son sens puisqu’il vise à étrangler économiquement l’Etat hébreu jusqu’à ce qu’il capitule et abandonne son caractère juif.

Le but de BDS n’est donc de
corriger le rapport de force pour forcer Israël à un compromis historique avec
les Palestiniens. Son objectif est d’engager une épreuve de force avec Israël en vue de le contraindre à abandonner
ce qui constitue le fondement même de son existence, son caractère juif.

Le choix du boycott : pacifique ou belliqueux

En France, de nombreux corps intermédiaires, partis politiques (EELV, LFI, NPA), syndicats (CGT), ONG (Oxfam, Attac), associations caritatives, etc., de mêmes que de nombreuses personnalités politiques ou de la société du spectacle ont apporté ces dernières années leur soutien aux campagnes de boycott lancées par le collectif palestinien BDS.

Mais comme nous l’avons vu, le boycott économique peut être un moyen pacifique pour arriver à la paix avec Israël ou un moyen belliqueux pour arriver à la paix mais sans Israël. Aussi, il serait bon que les supporteurs de BDS lèvent rapidement toute ambiguïté sur les fondements de leur soutien. Si l’objectif de leur boycott vise à rétablir un rapport de force plus favorable pour les Palestiniens dans le cadre de la relance d’un processus de paix visant à la création de deux Etats, alors ils doivent impérativement s’écarter du boycott préconisé par BDS, voire même le dénoncer. Si par contre leur soutien au boycott belliqueux prôné par BDS a bien pour objectif de créer une épreuve de force en vue d’obtenir la reddition forcée des Israéliens dans le cadre d’une solution imposée à un seul Etat où le sort des 7.000.000 de Juifs n’est pas encore fixé, alors ils ont frappé à la bonne porte.


(1) S. Henry: "Quelles sont les revendications précises de BDS?", CERSP, février 2019

(2) P. Smolar: “L’étiquetage par l’UE des produits fabriqués dans les colonies provoque la fureur d’Israël », Le monde, Novembre 2015.

(3) FAQs: "Does BDS call for a boycott of the whole of Israel or just the illegal settlements?", www.bdsmovement.org

[4]: Laurent Joffrin: "BDS: les dessous d'un boycott", Libération, août 2015; Martine Gozlan : "Ce que cache le boycott d'Israël", Marianne, mai 2016.

L’objectif de BDS? La création d’un Etat unique

Quel est l'objectif de la campagne de boycott internationale lancée par BDS? Dans sa Foire Aux Questions (1), il présente sa campagne de boycott non pas comme un combat de nature politique mais comme une lutte pour le respect du droit, de l’égalité et de la justice. Il entend ainsi convaincre la communauté internationale que la paix entre Israéliens et Palestiniens ne passe pas par des « négociations de paix » devant aboutir à un accord politique entre les deux belligérants mais par le seul et strict respect par l’Etat d’Israël du droit international et des droits humains des Palestiniens.

Supporters de BDS

Les trois revendications de BDS

Le collectif palestinien énumère dans sa Charte trois revendications sine qua non pour réaliser le droit à l’autodétermination des Palestiniens : 1) la fin de l’occupation et de la colonisation de tous les territoires arabes,2) le retour sans conditions de l’ensemble des réfugiés palestiniens à l’intérieur des frontières de l’Etat d’Israël ; et 3) l’égalité complète des droits pour les citoyens arabo-palestiniens vivant en Israël. Les mesures punitives de boycott sont là pour contraindre les Israéliens à accepter, de gré ou de force, ces revendications. (2)

La bonne grille de lecture des revendications

Ces trois revendications ne peuvent être comprises que si elles sont replacées dans le cadre de la lutte menée par le collectif palestinien contre la création originelle de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire contre l’idée selon laquelle les Juifs puissent être majoritaires et avoir un droit au retour sur une partie du territoire de la Palestine historique. BDS est en effet un mouvement qui se revendique radicalement et farouchement antisioniste. Replacées dans le contexte de sa lutte pour la désionisation de l’Etat d’Israël, les trois revendications du collectif palestinien prennent alors une tournure beaucoup plus politique qu’ilne le prétend :

  • La fin de l’occupation et de la colonisation de l’ensemble des territoires arabes ne vise pas uniquement des territoires palestiniens occupées par Israël depuis 1967 (Cisjordanie et bande de Gaza qui peut également comprendre un échange mineur de territoire comparable et mutuellement accepté dans le cadre d’un accord de paix) mais comprend l’ensemble des territoires arabes actuellement contrôlés par les sionistes, y compris le plateau du Golan (territoire revendiqué par la Syrie), Haïfa et Tel-Aviv, c’est-à-dire l’entièreté du territoire actuellement sous contrôle ou sous souveraineté israélienne. Cette revendication exprime le désaccord de BDS sur la solution à deux Etats.

  • Le droit au retour sans conditions des réfugiés palestiniens est une logorrhée du mouvement national palestinien historique qui va au-delà de la position officielle de l’Autorité Palestinienne et même de la ligne de conduite adoptée par les pays membres de la ligue arabe (initiative saoudienne) qui ont évolué sur cette question et préconisent aujourd’hui une solution « juste », à défaut d’être équitable, au problème des réfugiés.

  • L’égalité des droits entre les citoyens à l’intérieur de l’Etat d’Israël doit uniquement être interprétée, lorsqu’elle est revendiquée par un mouvement comme BDS, comme un acte, couplé au retour des réfugiés (environ 5 millions de personnes), devant mettre fin à la majorité juive (et donc du caractère juif de l’Etat d’Israël) sur la partie du territoire de la Palestine actuellement occupée par les sionistes.

Des revendications éminemment politiques

Si on devait reformuler correctement les revendications de collectif palestinien, on pourrait alors dire que l’horizon politique de BDS est une solution à un seul Etat avec une population majoritairement musulmane. Le sort des Juifs (environ 7.000.000 d’individus) dans ce nouvel Etat, lui, n’est quant à lui pas encore tranché. Voilà ce que BDS propose lorsqu’il affirme se battre uniquement pour le respect du droit international et les droits humains des Palestiniens. Contrairement à ce qu’il affirme (3), ses revendications sont éminemment politiques puisque BDS prône comme principe que l’unique solution au conflit passe par un acte politicide de la part des Israéliens. La Paix se fait non pas avec Israël mais sans Israël.

La fin de la colonisation et de l’occupation, le règlement de la question des réfugiés et l’égalité des droits entre les citoyens sont bien évidemment des questions auxquelles les belligérants doivent impérativement apporter des réponses pour espérer un jour mettre un terme à ce que certains appellent désormais le plus vieux conflit du monde. Les « accords » d’Oslo conclus en 1993 entre les représentants officiels et légitimes des deux camps tentaient d’y parvenir. Il en a été de même des « accords » de Genève signés par des personnalités des deux bords en 2003 et qui se basaient sur le plan Clinton et les discussions de Taba prévoyant un règlement global et pacifique du conflit : création d’un Etat palestinien, délimitation des frontières, échanges de territoires, colonies, solution disruptive au problème des réfugiés palestiniens, sécurité, cogestion de Jérusalem, etc.

La célèbre poignée de mains entre Y. Rabin et Y. Arafat

Retour vers le futur

Les trois revendications de BDS sont cependant d’un autre ordre puisqu’elles partent du postulat que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien passe par la négation du droit à l’autodétermination du peuple juif. Ces revendications peuvent ainsi être qualifiées de rétrogrades puisqu’elles sont identiques à celles que soutenaient l’OLP, principal acteur du mouvement national palestinien, avant d’accepter la solution à deux Etats et le processus de paix d’Oslo il y a 25 ans !

Avec BDS, c’est donc retour vers le futur.


(1) F.A.Q. : Quelles sont les revendications précises de la campagne BDS ?, www.bdsfrance.org

(2) CERSP: "Les trois principes de BDS", février 2019

(3) Omar Barghouti: « BDS: discussing Difficult Issues in a Fast-Growing Movement “, Al-Shabaka, juin 2016.