Le Brexit ? Une leçon magistrale de démocratie
Le résultat du référendum populaire de 2016 marquant la volonté de la population britannique de quitter l’Union Européenne a surpris pas mal de monde, en premier lieu ses principaux instigateurs. Les leaders politiques comme Nigel Farage ou Boris Johnson, qui avaient fait campagne pour le Brexit, ont depuis quitté le navire, de même que David Cameron, ex-Premier Ministre, qui avait eu l’ingénieuse idée de l’organiser.
La gestion du Brexit
A la suite de ce référendum, le pouvoir politique anglais s’est retrouvé malgré lui à devoir gérer un défi de taille : trouver une solution qui respecte la décision du peuple de quitter de l’Union Européenne mais qui en même temps protège la population britannique contre les effets potentiellement désastreux de sa propre décision en cas de « no deal », de sortie désordonnée. Le personnel politique s’est attelé à cette tâche ardue pendant près de trois ans, essuyant de vives critiques et railleries, incapable selon certains de gérer correctement la mission confiée par le peuple de mener le Brexit à son terme.
Pourtant, à y regarder de plus près, les Britanniques viennent de nous donner une leçon magistrale de démocratie.
Le jeu politique anglais
On raconte bien souvent que l’Angleterre est la plus vielle démocratie du monde, ce qui n’est pas exact. Les institutions politiques anglaises sont, certes, ancestrales (le Palais de Westminster qui date de l’an 1097 est surnommé « la mère des Parlements »), mais elles ne se sont démocratisées qu’au fil du temps. Avec pour résultat une démocratie anglaise actuelle dotée de règles du jeu politique extrêmement complexes et codifiées. A l’instar d’un jeu d’échec, chaque acteur détenant une parcelle du pouvoir politique (le Premier Ministre, le parti de la majorité, le parti de l’opposition, les parlementaires, etc.) est une pièce disposée à une place précise sur l’échiquier politique anglais et possède des règles de déplacement qui lui sont propres.
Le feuilleton politique du Brexit
Le feuilleton du Brexit est le dernier exemple en date de la manière dont fonctionnent les institutions politiques anglaises avec la particularité, il est vrai, d’un scénario « abracadabrantesque » : un projet d’accord de retrait conclu avec Bruxelles après dix-sept mois d’âpres négociations qui est présenté trois fois et rejeté autant de fois par la Chambre des Communes, une Première Ministre qui survit à une motion de défiance introduite par les membres de son propre parti, une opposition travailliste qui réclame la démission du gouvernement et la tenue d’élections législatives anticipées à chaque session parlementaire, douze options alternatives présentées par des parlementaires de tous bords et toutes rejetées par les parlementaires eux-mêmes, Theresa May qui propose sa démission mais qui reste en place, le Speaker John Bercow qui interdit au gouvernement de remettre au vote un même texte sur base d’une règle datant de 1604 (!), plus de 500 heures consacrées au Brexit par la Chambre des communes, etc. La mécanique des contre-pouvoirs, indispensable dans une démocratie, empêche le pouvoir en place de dériver vers un pouvoir absolu et rend nécessairement le temps long.
Quelles leçons faut-il tirer du Brexit ?
Le feuilleton politique du Brexit touche maintenant à sa fin. Theresa May, politiquement essorée, a réussi avec le soutien tacite du chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn et celui explicite des dirigeants européens, à porter un coup probablement décisif aux Brexiters les plus durs du parti conservateur. La sortie de route tant redoutée par le personnel politique anglais, le « no deal », semble écartée et l’accord négocié avec Bruxelles la seule et unique alternative. Les Brexiters durs ont désormais le choix entre signer l’accord négocié ou leur déroute annoncée aux élections européennes au Royaume-Uni et la probable tenue d’élections législatives anticipées dans la foulée.
Le résultat du référendum de 2016 a failli enrayer toute la mécanique institutionnelle anglaise. Le pouvoir politique, mis un temps K.O. par la décision de la population britannique de sortir de l’Union Européenne a finalement réussi à relever le défi qui lui avait été imposé tout en évitant le chaos et ce, par la grâce des règles du jeu politique de la démocratie anglaise. Une Europe très politique vient également d’émerger. La manière dont les principaux acteurs européens (le commissaire Michel Barnier, le Président du Conseil Donald Tusk et le président de la Commission Jean-Claude Juncker) ont géré le Brexit depuis trois ans démontre que l’Europe politique que d’aucuns disaient moribonde vient de franchir un cap très important.
En revanche il n’est pas du tout certain que la population britannique sortira gagnante de ce capharnaüm. Le référendum que certains présentent comme étant la quintessence de la démocratie est en réalité une bombe à fragmentation qui a pour principal résultat non pas de refléter l’opinion de la population d’un pays mais de la déchirer durablement en deux.