BDS et le paradigme du conflit israélo-palestinien

le paradigme du conflit

La soudaine éclosion du collectif palestinien BDS sur le devant de la scène au cours de l'année 2005 s'inscrit dans un contexte politico-historique bien déterminé et n'est pas le fruit du hasard.

Période 1897-1991 : premier paradigme

Au cours de cette période, qui va du premier Congrès sioniste de 1897 à l'ouverture de la Conférence de Madrid en 1991, les deux mouvements nationaux, juif et palestinien, vont se développer à partir du paradigme selon lequel une seule partie au conflit est légitimement en droit de revendiquer son autodétermination sur le territoire disputé, l’autre ne l’est pas et doit donc disparaître.

Autrement dit, le nationalisme de chaque camp se développe pendant cette période en pratiquant la négation de l’autre. Le mode de gestion de conflit adopté par les deux camps est l’épreuve de force.

a) Côté Israélien

Le nationalisme juif trouve sa légitimation idéologique dans le sionisme. Les « grands mythes fondateurs de l’Etat hébreu » - qui seront revisités et déconstruits par les nouveaux historiens israéliens dans les années ’80 - lui servent de socle : « un peuple sans terre pour une terre sans peuple », l'idée fortement ancrée d'un départ « volontaire » de tous les habitants palestiniens de leurs villages en 1948, la théorie religieuse du « Grand Israël » (la terre biblique ancestrale), etc.

Cette lecture idéologique permet de considérer la nation juive comme étant la seule disposant du droit ancestral et inaliénable à la création d’un état souverain sur le territoire historique de la Palestine. Le droit à l’autodétermination des Palestiniens est quant à lui nié. La Jordanie doit être considérée, s’il échet, comme le territoire du futur Etat des Palestiniens.

b) Côté Palestinien

Le mouvement national palestinien va se structurer dans les années 60 autour de l’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) dont le leader est Yasser Arafat. Dans le contexte de la guerre froide, cette faction palestinienne va faire le choix stratégique de cadrer sa cause nationaliste avec l'idéologie marxiste-léniniste et le mouvement de décolonisation.

Cette lecture idéologique où seule compte la victoire de l'opprimé sur l'oppresseur permet de considérer la nation palestinienne comme étant la seule disposant du droit ancestral et inaliénable à la création d'un état souverain sur le territoire historique de la Palestine. Le sionisme est vu comme une entreprise coloniale criminelle et le droit à l’autodétermination du peuple juif est nié. Selon la Charte Palestinienne, tous les Juifs à l’exception de ceux qui étaient présents avant la Déclaration Balfour de 1917 devront être expulsés.

Période 1991-2000 : second paradigme

Au cours de cette période, qui va de la Conférence de Madrid de 1991 à la deuxième Intifada début 2000, le paradigme du conflit se modifie. La célèbre poignée de mains entre Arafat et Rabin dans les jardins de la Maison-Blanche et les accords d’Oslo de 1993 marquent symboliquement ce changement. Chaque adversaire voit sa légitimité être reconnue par l’autre camp.

Rabin et Arafat

La reconnaissance mutuelle étant actée, un mode de gestion du conflit par la négociation entre les deux protagonistes se met en place devant parvenir à la résolution politique du conflit par la création de « deux Etats pour deux peuples » vivant côte-à-côte dans des frontières sures et reconnues.

La négociation est un procédé destiné à rendre compatibles des prétentions initiales incompatibles sur des questions comme la division du territoire, le statut de Jérusalem, le sort des réfugiés, etc. Il faut donc, au cours de la négociation, que se modifient les attitudes initiales des protagonistes. L’exemple des réfugiés palestiniens permet de l'illustrer. Le mouvement palestinien historique revendique le retour des réfugiés sans conditions ce qui est inacceptable pour la partie israélienne. Diverses propositions sont alors mises sur la table des négociations en vue de trouver une solution équilibrée à défaut d'être équitable.

Période 2000-Aujourd’hui : retour au premier paradigme

Les négociations de paix devant aboutir à la création de « deux Etats pour deux peuples » se sont totalement embourbées depuis le début des années 2000. Chaque adversaire impute l’échec de la négociation sur l’autre. C’est la fin annoncée du second paradigme et la résurrection du premier que les pacifistes des deux camps pensaient pourtant avoir définitivement enterré.

a) Côté Israélien

Le « camp de la paix » n’a pas réussi à trouver un accord de paix avec les Palestiniens. Poussée par une droitisation extrême de sa classe politique et de sa population, l’idée d’une solution politique à un seul Etat israélien englobant l’ensemble de la Palestine historique, y compris les territoires occupés après 1967, refait à nouveau surface.

Le nouveau "plan de paix" américain qui sera dévoilé bientôt s'inscrit dans ce contexte.

Au point que l’idéal sioniste d’un « Etat juif et démocratique » voulu par les pères fondateurs et inscrit dans la Déclaration de l’Indépendance est remis en question. Si le projet de « Grand Israël » devait aboutir, les Israéliens auraient alors à choisir entre soit préserver le caractère majoritairement juif de l’Etat au détriment de son caractère  démocratique, avec l’instauration d’un véritable régime politique d’apartheid comprenant des citoyens israéliens et des sous-citoyens palestiniens, soit de préserver le caractère démocratique de l’Etat, une personne = une voix, avec pour corolaire la disparition, à terme, du caractère majoritairement juif de l’Etat par un basculement de la démographie en faveur des Palestiniens.

b) Côté Palestinien

L’Autorité Palestinienne, totalement corrompue, n’a pas réussi à trouver un accord de paix avec les Israéliens et est donc discréditée par une grande partie de la population palestinienne.

Le leadership de l’Autorité Palestinienne, seul représentant légal et officiel du mouvement palestinien, est remis en question. Aucune élection présidentielle n’a été tenue depuis 10 ans en Cisjordanie de peur de voir le pouvoir passer aux mains du Hamas.  Le leader historique incontestable et incontesté, Yasser Arafat, est décédé depuis un certain temps et a laissé place à Mahmoud Abbas, second couteau sans charisme. L’organisation discréditée par des années de négociation sans succès est en outre corrompue. L'idée d'un retour au premier paradigme refait ainsi surface.

L'éclosion de BDS, mouvement ultra-nationaliste de refus

C'est dans cette séquence historico-politique que le mouvement BDS prend son essor.

BDS trouve sa place au cours d’une séquence politique, de 2001 à ce jour, marquée par le retour, dans les deux camps, du paradigme qui prévalait avant le lancement du processus de paix d'Oslo. Dit autrement, son éclosion se situe très précisément dans un contexte où les deux camps sont en train d’acter la fin de la solution à deux Etats et son remplacement par la solution à un seul Etat qui prévalait de chaque côté avant le début du « processus de paix ». L’heure n’est plus à la gestion du conflit par la négociation devant aboutir à la création de « deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues », mais est à l’épreuve de force, la capitulation de l’adversaire, devant aboutir à un seul et unique Etat sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique.

La position ultra-nationaliste de refus de BDS n'est donc pas neuve puisqu'elle fait écho à celle du mouvement national palestinien historique. Le PNIF, le membre dominant au sein du BNC et dont le leader Marwan Barghouti est emprisonné en Israël depuis la deuxième Intifada, entend simplement déclasser l’Autorité Palestinienne et prendre le leadership du mouvement national palestinien au départ du premier paradigme qui envisage la paix non pas avec Israël mais SANS Israël.

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