BDS se présente comme un mouvement authentiquement et radicalement antisioniste : l’idée même d’un Etat-Nation où les Juifs du monde entier disposeraient d’un droit au retour et où le régime politique assurerait à la population juive d’être majoritaire, doit être abandonnée par les Israéliens car il induit de facto la négation des droits humains des Palestiniens et empêche leur autodétermination.
« Nous rejetons le sionisme en ce qu’il constitue le pilier idéologique raciste et discriminatoire du régime d’Israël d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid, qui prive le peuple palestinien de ses droits fondamentaux depuis 1948 » (1).
Les opposants au collectif palestinien considèrent cet antisionisme comme la simple face cachée de l’antisémitisme. BDS revendique son antisionisme radical mais réfute en revanche toute idée antisémite. Il s’insurge d’un chantage honteux d’antisémitisme et dispose même d’un argumentaire militant pour le combattre.
« Le mouvement BDS se réclame de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est non sectaire et rejette toutes les formes de racisme, y compris l’islamophobie, l’antisémitisme et les dizaines de lois israéliennes racistes (…). Le mouvement B.D.S. n’a jamais visé les Juifs ou les Israéliens en tant que Juifs (…) » (2)
Afin de déterminer si l’antisionisme radical de BDS est de l’antisémitisme, il est nécessaire de remonter aux origines de l’antisionisme tel qu’il est développé par chacune des trois couches qui structurent le mouvement BDS (3).
Antisionisme de type nationaliste
La couche supérieure du mouvement est composée des 172 organisations palestiniennes signataires de l’appel au boycott en 2005. La source de son antisionisme est relativement simple à comprendre. La branche palestinienne de BDS cherche à fonder un Etat-nation sur l’ensemble du territoire de la Palestine. La présence d’une majorité juive sur toute ou partie de ce territoire l’en empêche. Son antisionisme radical puise donc naturellement sa source dans le conflit qui oppose depuis plus d’un siècle le mouvement national palestinien au mouvement national juif. Il s’agit d’un antisionisme de type nationaliste. L’antisémitisme peut être un de ses dérivés (par ex. la place que doivent occuper les dhimmis en terre d’Islam) mais n’en est pas le moteur.
Antisionisme de type idéologique
La couche intermédiaire du mouvement est composée majoritairement d’organisations altermondialistes (« tiers-mondistes » dirait un observateur de droite), fer de lance de BDS à l’étranger. La source de son antisionisme ne se trouve pas dans le conflit israélo-palestinien lui-même mais dans sa vision contestataire des démocraties libérales en tant que régime politique. Israël, en tant que suppôt du capitalisme et de l’impérialisme américain doit être combattu. Il s’agit d’un antisionisme de type idéologique. Le sionisme, rattaché au système mondial de l’impérialisme, est ainsi amalgamé à des thématiques comme l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. L’antisémitisme peut être un de ses dérivés (par ex. le lien que les marxistes établissent entre les Juifs et l’argent) mais n’en constitue pas non plus le moteur.
Antisionisme de type sociologique
La couche inférieure est composée des supporters de BDS. Leur antisionisme trouve sa source non pas dans le conflit israélo-palestinien mais dans leurs rapports conflictuels aux Juifs à l’intérieur même des sociétés occidentales. Il s’agit d’un antisionisme de type sociologique. Cette hostilité aux Juifs a diverses origines : antisémitisme religieux, chrétien ou musulman, antisémitisme d’essence révolutionnaire, antisémitisme d’ignorance, etc. L’antisémitisme constitue bel et bien, à ce niveau, le moteur de l’antisionisme.
La responsabilité de la gauche altermondialiste
Là où le modèle commence à déraper, c’est lorsque la gauche altermondialiste qui sert de courroie de transmission entre le sommet et la base du mouvement fait le choix tactique d’instrumentaliser le conflit israélo-palestinien pour des raisons idéologiques. En réduisant le conflit à un simple scénario binaire opposant un oppresseur à un opprimé, en amalgamant le « système » (gouvernement, médias, justice, etc.) avec les Juifs, les Israéliens, le sionisme, l’antisémitisme ou la Shoa, en diffusant l’idée générale d’un complot ourdi par la finance internationale juive, en ayant des propos belliqueux à l’encontre d’Israël (décrit comme un Etat voyou, criminel, tueur d’enfants, etc.), la petite élite révolutionnaire qui se trouve à l’échelon
intermédiaire du mouvement BDS entend, conformément à la doctrine marxiste-léniniste, exciter les masses pour qu’elles se révoltent.
Et au plus la démocratie libérale produit des mécontents, au plus le discours radical de BDS fait écho et progresse au niveau de la base, ce qui augmente mécaniquement l’antisémitisme puisque les Juifs sont alors considérés comme faisant partie intrinsèque du problème. Leur élimination - physique ou symbolique - fait donc de facto partie de la solution.
« La gauche, sociale-démocrate ou pas, extrême ou pas, pense peut-être que se servir de l’antisémitisme afin de galvaniser les masses populaires est un prix acceptable pour que triomphe le socialisme. Cette dérive de type staliniste semble toujours d’actualité pour cette mouvance pseudo-humaniste qui se cherche, mais qui ne se trouvant pas finit par lâcher les Juifs comme on lâche du lest d’un ballon en perdition pour retarder le moment où il va s’écraser. » (4)
La gauche altermondialise affirme inscrire ses actions dans les luttes antiracistes et dans les valeurs universelles des Droits de l’Homme. Par son instrumentalisation du conflit au Proche-Orient, elle a pourtant réussi en très peu de temps à faire de BDS non pas le chantre de la lutte pour l’autodétermination du peuple palestinien mais la caisse de résonance de tous les individus qui entendent exprimer un rapport conflictuel envers les Juifs au sein des démocraties occidentales. En cela, oui, BDS est bel et bien antisémite. (5)
(2) Omar Barghouti : « La campagne BDS vise à forcer Israël à se conformer au droit », L’Humanité, 16/01/2016.
(3) Henri Simon : "Comment BDS est-il structuré", Les Cahiers du CERSP, n° 7, 2019
(4) Daniel Horowitz : " Socialisme et antisémitisme ", Médiapart, 2016.
(5) "German Parliament declares Israel boycott campaign antisemitic", The Guardian, May 2019.