Loin du consensus : La prise de décision en France à l’ère de la majorité

Loin du consensus : La prise de décision en France à l’ère de la majorité

25/07/2024 Commentaires fermés sur Loin du consensus : La prise de décision en France à l’ère de la majorité By Céline Lagrange

Les élections législatives anticipées de 2024 marquent le retour du parlementarisme en France. Le pouvoir s’est déplacé de l’Elysée à Matignon.

Au sein de l'Assemblée nationale, trois grandes forces politiques revendiquent chacune la légitimité de gouverner, s'appuyant sur le soutien qu'elles prétendent avoir de la majorité des citoyens. Le Rassemblement National (RN) souligne son succès aux dernières élections législatives, ayant mobilisé le vote de 11 millions de personnes, un nombre supérieur à celui des autres partis. Le bloc centriste met en avant la réélection de Macron lors de la présidentielle de 2022, affirmant que cela justifie pleinement sa capacité à diriger le pays. De son côté, le Nouveau Front Populaire (NFP) met en évidence sa position de force à l'Assemblée nationale, insistant sur le fait que la volonté populaire lui confère le droit de gouverner. Chaque bloc, armé de ses arguments, se positionne donc comme le représentant authentique de la volonté du peuple.

L’art de gouverner

Il est indéniable que la « règle de la majorité » joue un rôle fondamental dans une démocratie. Encore faut-il savoir de quelle majorité on parle. Un gouvernement en place est parfaitement conscient que son programme n'a pas reçu l'adhésion de toute la population. Afin d'obtenir l'approbation du plus grand nombre, il doit trouver un équilibre délicat entre répondre aux attentes de ses partisans d’une part et préserver l'unité nationale d’autre part.

La démocratie se caractérise ainsi par une gestion mesurée du pouvoir, impliquant un effort permanent vers le consensus. C'est dans cette quête de consensus que réside l'adhésion des minorités aux décisions de la majorité. Pour le formuler autrement, la démocratie repose sur l'assentiment de la vaste majorité des citoyens aux règles, même si elles ne leur sont pas toujours avantageuses.

L’erreur politique d’Emmanuel Macron

L’erreur politique commise par Emmanuel Macron est d’avoir utilisé, pour faire passer sa réforme des retraites, un règle de majorité certes légale (l'article « 49, alinéa 3 de la Constitution) mais politiquement erronée.

En démocratie, il y a la loi d’un côté et la pratique du pouvoir de l’autre. Lorsqu’un gouvernant entend modifier une règle du jeu majeure (comme les retraites), il ne peut pas le faire sur base du seul consentement de son camp mais doit aller au-delà de ce dernier pour conserver la cohésion nationale. Pour faire accepter sa décision sans fracturer la société française, le gouvernement Macron aurait dû rechercher le consentement de la grande majorité de la population et non pas la majorité de son propre camp par l’utilisation d’une règle de majorité alternative à celle utilisée.

En décidant au contraire de passer des réformes majeures par le « 49.3 », l’exécutif a bien fait usage d’une pratique non démocratique de l’exercice du pouvoir. Avec pour résultats deux effets mécaniques immédiats : la cohésion nationale s’est effritée à une vitesse telle que le Président n’a plus eu d’autre choix politique que d’activer une arme atomique institutionnelle : la dissolution de l’Assemblée nationale. Et le gouvernement a perdu une grande partie de sa légitimité qui est pourtant essentielle pour gouverner.

A Macron désormais d’en tirer toutes les conséquences politiques.

L’agenda politique de LFI

Pour Jean-Luc Mélenchon, le peuple a parlé et lui a donné la majorité démocratique pour gouverner le pays. Il a annoncé la couleur le soir même des résultats : le Nouveau Front Populaire doit appliquer « le programme, rien que le programme, tout le programme ». Tout autre position ne serait que compromission et un déni de démocratie.

On pourrait tout d’abord reprocher à Jean-Luc Mélenchon de vouloir exercer le pouvoir exactement de la même manière que le Président Macron : gouverner sans compromis. Autrement dit, d’adopter la même pratique non démocratique du pouvoir.

Mais il y a une différence de nature majeure entre la gouvernance du camp présidentiel et celle prônée par LFI.

Macron a commis une erreur de gouvernance et en paie le prix politique aujourd’hui. En revanche, cette manière de gouverner fait partie intrinsèque de l’ADN de LFI, de sa philosophie politique, où l’art du compromis n’a pas sa place. LFI exècre la démocratie parlementaire, la percevant comme un système favorisant les élites, et aspire à un changement radical par les urnes si possible, par la rue s’il le faut. L'idée d'une assemblée constituante et la création d'une VIème république, promues par Jean-Luc Mélenchon, envisagent une république réformée où le pouvoir serait exercé par un seul et unique parti (« La République, c’est moi !») représentant directement la volonté du peuple. Un système dans lequel quiconque ose exprimer un désaccord avec la gouvernance du parti n’est plus un adversaire politique mais un traître.

Un goût de déjà vu. Une question à méditer au PS.

 

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