Pourquoi un parti comme La France Insoumise (LFI) a-t-il fait de la guerre à Gaza le fer de lance de sa campagne électorale pour les européennes de 2024 ? Le débat est vif. Pour ses détracteurs, la réponse est claire : une obsession maladive d'Israël, révélatrice d'un antisémitisme déguisé. Ses partisans, quant à eux, défendent bec et ongles leur droit à la critique d’Israël, affirmant combattre toutes les formes de racisme, y compris l'antisémitisme.
Pour comprendre les motivations sous-jacentes qui ont incité LFI à placer cette thématique au cœur de sa campagne, il est essentiel de considérer le rôle singulier qu'Israël et les communautés juives de la diaspora tiennent dans le discours de la gauche altermondialiste, puis d'examiner comment cette question est exploitée dans une stratégie électorale assumée.
a) La position singulière occupée par Israël
Les organisations issues de la gauche altermondialiste réduisent généralement le sionisme à une entreprise coloniale criminelle et considèrent Israël comme un Etat illégitime. Ils englobent ainsi leur lutte contre la présence juive au Proche-Orient dans un mouvement plus vaste de lutte contre l’impérialisme occidental. Poussé par une idéologie antisioniste exacerbée, certains développent même une obsession maladive pour Israël, convaincus que son anéantissement est la clé de voûte d'un monde meilleur.
b) Le rôle ambigü des communautés juives de Diaspora
Historiquement, les communautés juives de la diaspora ne sont pas une cible électorale choyée par gauche altermondialiste, que du contraire. Influencée par certaines lectures marxistes, cette mouvance a tendance à percevoir les communautés juives comme faisant partie des élites dominantes. Seuls les individus juifs ayant fait sécession avec leur communauté sont dignes d’éloges.
Sous-jacent à ce rapport ambivalent sur les communautés juives se cache un antisémitisme latent, difficilement avouable mais néanmoins présent. Les stéréotypes antisémites (Juif/argent, Juif/pouvoir, Juif/Média, etc.) ne sont pas véhiculés que par la seule extrême-droite. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'histoire de la gauche est marquée par des courants de pensée teintés d'antisémitisme, même si ceux-ci sont souvent refoulés.
Les clefs de la victoire : le vote des personnes racisées
Les dernières études sur l’électorat de LFI confirment qu’il est assez vaste et plus disparate qu’on ne le pense. Cette base électorale est néanmoins insuffisante à ce jour pour gagner une élection. Engranger quelques centaines de milliers de voix supplémentaires lui permettrait, selon les stratèges du parti, d’exploser son plafond de verre et de présenter un candidat au second tour de l’élection présidentielle.
Pour aller chercher ces voix manquantes, LFI a fait le choix de se tourner vers les abstentionnistes qui représentent entre 30% et 60% du corps électoral selon l’élection. Et, à l’intérieur de ce groupe protéiforme, spécifiquement, les personnes racisées.
Au grand dam du député François Ruffin qui aurait préféré récupérer l’électorat populaire des zones périurbaines et qui a finalement marqué sa rupture avec LFI.
Le thème choisi pour séduire sa cible électorale : le "génocide à Gaza"
LFI a dû trouver un thème suffisamment porteur pour mobiliser son nouvel électorat. Et le sujet choisi ne fût pas un des thèmes habituellement associés à la gauche tels que la fiscalité des hauts revenus, la justice sociale ou les problématiques écologiques, mais le « génocide à Gaza ».
Il est intéressant de noter que le choix porté sur cette thématique n'est pas propre à La France Insoumise mais est celui de plusieurs mouvements de la gauche radicale dans d'autres pays. C'est le cas notamment de l'aile dite progressite du Parti Démocrate aux États-Unis ainsi que du Parti du Travail de Belgique (PTB). Le PTB a ainsi pu consolider en 2024 sa position en tant que troisième force politique dans la région bruxelloise en sensibilisant les communautés marocaines et turques de la capitale belge sur la situation à Gaza.
En traitant ce sujet avec une intensité extrême, LFI a fait le choix assumé de s'adresser directement aux émotions des minorités arabo-musulmanes. Cette sensibilité particulière n’a cependant strictement rien à voir avec le sort malheureux des Palestiniens. Les études les plus récentes confirment que les préjugés antijuifs demeurent encore fortement ancrés particulièrement au sein de la population musulmane. A travers le conflit israélo-palestinien, c’est donc bien le rapport conflictuel des minorités racisées aux Juifs qui est posé.
La remise en cause de la présence des Juifs en "Palestine occupée" et de la place privilégiée des communautés juives de diaspora sont les deux piliers sur lesquels le parti va s’appuyer pour mobiliser son nouvel électorat.
a) La place subordonnée des Juifs en terre musulmane
LFI reprend tout d’abord ses classiques en dénonçant le sionisme. Les excès de langage où Israël est décrit ad nauseam comme un « état génocidaire et tueur d’enfants » envoie le premier message : la présence juive en Palestine est illégitime et constitue, par essence, un crime contre l’Humanité.
Ce premier message trouve un écho favorable auprès de sa cible électorale. Dans la tradition musulmane, les Juifs sont considérés comme des dhimmis, c'est-à-dire des protégés, mais leur statut est subordonné. Ce qui entre en contradiction avec le concept d’égalité entre citoyens, hérité des Lumières, fondamentalement opposé à la hiérarchie sociale inhérente à tout dogme religieux.
Face à ce dilemme, deux options se présentent pour les minorités racisées : soit accepter la présence juive en Palestine, ce qui implique de remettre en question les fondements religieux et d'embrasser une vision sécularisée de la société ; soit maintenir le statu quo, en rejetant la présence juive au nom de la préservation de l'identité religieuse et communautaire. Cette dernière option, qui repose sur la peur de la désintégration sociale, constitue le terrain fertile permettant aux préjugés antijuifs de continuer à prospérer.
b) La position privilégiée des Juifs en France
LFI inonde ensuite les réseaux sociaux en reprenant à son compte des thèses qui dénoncent le pouvoir supposé des communautés juives (incarné par la figure maléfique du CRIF) ou la double allégeance, thèses qui s'inscrivent dans une tradition d'accusations antisémites.
Ces messages résonnent tout particulièrement au sein des communautés arabo-musulmanes vivant en France, qui peuvent éprouver des ressentiments face à ce qu'elles perçoivent comme des privilèges accordés à la communauté juive. Les difficultés d'intégration exacerbent ces tensions et facilitent la recherche de boucs émissaires. La communauté juive est alors vue comme un obstacle à l'émancipation des autres groupes.
Le rôle essentiel de Rima Hassan
En instrumentalisant le conflit à Gaza, La France Insoumise avait pour ambition d’attiser les tensions entre les différentes minorités. Avec l’effet escompté puisque les actes antisémites ont explosé. Désormais de nombreux Juifs changent leur patronyme lorsqu’ils commandent un taxi.
Pourtant, les partis de la gauche radicale comme LFI ne sont pas des partis propalestiniens. Le sort des Palestiniens, comme au demeurant le sort de tous les autres malheureux de la planète, lui est totalement indifférent. La source de son antisionisme ne se trouve pas dans le conflit israélo-palestinien lui-même mais dans sa contestation des démocraties libérales en tant que régime politique. Le combat contre Israël et les sionistes dépasse la question très légitime du devenir du peuple palestinien. En alimentant sans cesse le ressenti des personnes racisées à l’égard des communautés juives de France, LFI ne cherche en réalité que l’allumette pour mettre le feu à la contestation populaire devant mener au changement de régime.
Dans sa quête d’une VIème République, Jean-Luc Mélenchon se plaît désormais à exposer Rima Hassan comme un trophée à chacune de ses sorties, clin d’œil à son nouvel électorat racisé.
Mais Rima Hassan n’est pas la nouvelle égérie, à gauche, de la cause palestinienne. Elle est juste l’idiote utile du parti.