La théorie des clivages sociaux
Le schéma théorique développé par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset sur les clivages sociaux demeure à ce jour la grille de lecture principale du système socio-politique belge.
Selon ces auteurs, l’évolution politique de l’Europe fût historiquement affectée par trois révolutions successives : la révolution nationale, la révolution industrielle et la révolution internationale. Les deux premières coupent le système politique dans un plan qui suit deux axes conflictuels : un axe « territorial-culturel » et un axe « fonctionnel ». La révolution nationale fait apparaître, dans la dimension fonctionnelle, la contradiction Eglise/Etat, et dans sa dimension territoriale-culturelle, la contradiction centre/périphérie. La révolution industrielle, quant à elle, engendre la contradiction entre les possédants/travailleurs dans la dimension fonctionnelle et la contradiction secteur primaire/secteur secondaire dans la dimension territoriale-culturelle. L’histoire de l’Europe depuis le début du XIXème siècle se résume à l’évolution de l’interaction entre ces deux processus révolutionnaires.
Ces quatre contradictions engendrent alors des conflits fonctionnels à caractère suprastructurel (conflits philosophiques) ou à caractère infrastructurel (conflits de classe), ainsi que des conflits territoriaux à caractère suprastructurel (conflits communautaires) ou infrastructurel (conflits avec le monde rural marginalisé par une économie urbaine industrielle).
Enfin, l’institutionnalisation de ces grands conflits engendre à son tour quatre clivages fondamentaux sur les versants desquels s’enracineront des familles politiques porteuse d’un projet spécifique.
Cette théorie constitue à l'heure actuelle, la meilleure clef d'analyse du système politique belge qui est caractérisé par l'existence de trois grands familles politiques - chrétienne, libérale et socialiste - quadrillant l'ensemble de la société civile et organisant en "mondes" parallèles (constitués en partis, de syndicats, de mutuelles, d'organisations de jeunesse, voire d'associations sportives et culturelles). Ce processus de stratification verticale trouve son origine dans la formation et le recoupement de trois clivages fondamentaux: clérical/anticlérical, centre/périphérie et possédants/travailleurs.
Ces trois axes de conflits qui s'entrecroisaient et maintenaient l'équilibre ont été transformés en axe de conflit communautaire au départ duquel tous les problèmes sont à présent débattus. Il s'agit là d'un changement radical et non négligeable dans l'équilibre classique dans la gestion du pays.
Pour aller plus loin
S. ROKKAN et S.M. LOPSET, "Party systems and voter alignements: cross-national perspectives", New-York, Ed. The Free Press, 1967, 554 p.
D.-L. SEILER, "Partis et familles politiques", Paris, PUF, Collection "Thémis science politique", 1980, 440 p.