Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve.
Les défenseurs de l’Etat d’Israël aiment rappeler que ce tout petit pays à l’échelle de la planète est une pointure internationale dans de nombreux domaines : high tech, agriculture, technologie militaire, scientifique, médical, etc. Bref, une réussite et un motif de fierté pour de nombreux Juifs de Diaspora.
Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’Etat hébreu peut aujourd’hui se targuer d’être également en avance sur son temps dans le domaine politique. Tous les pays occidentaux sont confrontés à la montée des populismes et à la possible arrivée au pouvoir d’hommes n’ayant pas pour horizon politique le maintien du régime de la démocratie libérale. Israël est un précurseur sur le sujet puisque les populistes sont, depuis les dernières élections législatives de 2022, au cœur même des institutions démocratiques et en ont commencé le démantèlement : attaques incessantes contre l’intégrité des hauts fonctionnaires, y compris le procureur général et le gouverneur de la Banque d’Israël[1], pillage de milliards de shekels du budget de l’Etat pour financer des projets nationalistes et des écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les matières générales[2]. transformation de la police en milice politique fonctionnant selon les caprices d’un ministre raciste (Itamar Bern Gvir)[3], transfert des pouvoirs « civils » dans les colonies de Cisjordanie à un ministre colonisateur (Bezalel Smotrich)[4], relecture de tous les manuels scolaires par un membre du gouvernement ouvertement homophobe (Avi Maoz)[5]. La liste des lois liberticides s’allonge de jour en jour et l’Etat de droit vacille en Israël.
Si le ministre de la Justice Yariv Levin arrive à ses fins et fait voter son projet de réforme judiciaire visant à neutraliser la Cour suprême, Israël obtiendrait la palme du tout premier pays occidental à sortir définitivement du régime politique de la démocratie libérale. Sans la Cour Suprême pour se dresser sur sa route, la coalition gouvernementale actuellement en place en Israël aura les mains libres et pourra à sa guise sortir de l’Etat de droit, faire main basse sur tout le territoire de la Palestine biblique et y instaurer la loi de Moïse. Telle est d’ailleurs, selon l’actuel ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives: la mise en place d’une nouveau régime où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[6]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville. Bref, l’opposé d’un régime démocratique. De quoi faire rugir de plaisir Donald Trump et tous les suprémacistes blancs américains (Mike Pence, Ron DeSantis, etc.) qui se présentent les uns après les autres à l’investiture du parti républicain aux Etats-Unis.
Et les Juifs de Diaspora dans tout cela ? Aux Etats-Unis, ils protestent massivement contre les projets du gouvernement israélien au point que l’on évoque désormais une véritable cassure entre les Juifs américains et Israël[7]. En Europe, la situation est différente pour des raisons historiques. Un procès en illégitimité est généralement intenté aux Juifs de Diaspora qui osent adopter une position critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Sauf que cette fois, la réforme judiciaire ne concerne pas une affaire intérieure mais le cadre général même de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire le pacte commun qui fait liaison entre les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora. Le projet sioniste tel qu’imaginé par les Pères fondateurs (Herzl, Ben Gourion, etc.) est remis en cause par une coalition gouvernementale qui a un autre projet politique pour Israël. Face à ce danger existentiel, les Juifs de Diaspora ont l’obligation morale de sortir de leur devoir de réserve qui frise aujourd’hui le ridicule et de stopper par tous les moyens ce projet destructeur.
Car que les Juifs de Diaspora ne s’y trompent pas, si le projet de réforme judiciaire est voté, ce sera le prélude en Israël, soit à la guerre civile (le point de bascule a déjà failli avoir lieu en mars lorsque Benjamin Netanyahou a limogé son ministre de la Défense avant de se raviser face à la colère de la rue, la fronde de l’armée et l’annonce de la grève générale illimitée décrétée par le puissant syndicat Histadrouth), soit à un exode massif des Israéliens démocrates qui ne voudront pas vivre dans une théocratie. Avec en prime une restriction drastique de la Loi du Retour. Les ennemis d’Israël, et ils sont nombreux, se frottent déjà les mains.
[1] “Israeli Minister Blasts Bank of Israel Governor as a ‘Savage’”, Haaretz, Jun. 2023;
[2] Ilan Ben Zion: “Israel’s Netanyahu and allies pass new budget with sweeping grants for settlements, ultra-Orthodox”, May 2023, Associated Press (AP);
[3] Dan Williams: “Israël autorise la création d’une garde nationale réclamée par Ben-Gvir » ; Avr. 2023, Reuters ;
[4] Udi Dekel: “From Slow to Accelerated Annexation: Transferring the Civil Administration from the Minister of Defense to the Minister of Settlement”, Dec. 2022, Institute for National Security Studies (INSS);
[5] Lior Dattel: “Far-right Homophobic MK Avi Maoz Is Back in Israel’s Schools to Monitor Curriculum, Administrators”, May 2023, Haaretz;
[6] Yair Sheleg : “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.
[7] Yitz Greenberg: “Smotrich, Ben-Gvir are damaging Israel’s Jewish character”, Jerusalem Post, Oct. 2022