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Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ?

29/06/2023 Commentaires fermés sur Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ? By Alain Soriano

Cela fait maintenant plus de six mois que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent inlassablement chaque samedi soir dans la rue Kaplan de Tel-Aviv contre la réforme judiciaire. Un rituel s’est installé dans la capitale économique et culturelle du pays : début du cortège vers 19h30 chacun apportant son drapeau israélien, deux ou trois slogans chantés, déclarations politiques sur grand écran puis retour chez soi vers 22h jusqu’au week-end prochain). Jamais une manifestation réunissant chaque semaine entre 150.000 et 250.000 personnes n’aura durée aussi longtemps dans un pays occidental. Contrairement à une idée savamment entretenue par les membres de la coalition gouvernementale en place, ces manifestants ne sont pas des « gauchistes ». La gauche n’existe plus depuis longtemps en Israël !

Ceux et celles qui descendent chaque samedi à Tel-Aviv sont en réalité des démocrates à l’avant-garde du combat contre les forces populistes arrivées début de l’année 2023 au pouvoir en Israël. Le pays est, depuis l’élection, coupé en deux et à la croisée des chemins : soit Israël se maintient dans le giron des démocraties libérales, soit il bascule dans un nouveau régime politique  gouverné par la loi de D-ieu et le suprémacisme juif. Les manifestants de la rue Kaplan jouent donc l’avenir du pays.

La question palestinienne est pourtant quasi absente dans les manifestations. Cela s’explique par le fait que depuis la deuxième Intifada, les Israéliens se sont laissés convaincre, à tort ou à raison, qu’il était vain de chercher un partenaire palestinien pour la paix et que la seule solution acceptable passait non pas par un accord de paix mais par le maintien d’un conflit à basse intensité ». Pendant 20 ans, les Israéliens ont donc vaqué à leurs occupations quotidiennes tout en confiant aux gouvernements successifs de droite comme de gauche la mise en place de mesures coercitives fortes pour maintenir l’adversaire à distance respectable. Cette approche a été payante puisque le conflit israélo-palestinien qui structurait la vie politique israélienne jusque dans les années 2000 a, depuis, quasiment disparu des débats publiques. Pendant ce temps, la droite ultra-nationaliste et messianique avançait et commençait à gangréner la société civile israélienne. Au point d’arriver au pouvoir lors des dernières élections législatives.

Le réveil des démocrates est donc brutal. Mais la tentative du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël de modifier le régime politique pourrait bien in fine…déboucher sur une nouveau processus de paix avec les Palestiniens. Celles et ceux qui manifestent rue Kaplan les samedis soirs ne le savent pas encore, mais la question palestinienne va bientôt leur revenir en boomerang. Tous luttent pour le maintien des fondements démocratiques du pays. « DE-MO-KRA-TIA » est le slogan entonné chaque samedi soir. Or par démocratie, il faut entendre a minima Etat de droit, égalité des droits entre les citoyens et extension des libertés individuelles (notamment les droits des LGBTQ+). Ces principes démocratiques sont universels et ne s’adressent pas seulement à la population juive. Les manifestants ne peuvent pas vouloir le maintien de la démocratie israélienne tout en maintenant un régime d’occupation et d’oppression de 2 millions Palestiniens en Cisjordanie. Démocratie et occupation ne sont pas compatibles.

Lorsque les démocrates israéliens comprendront que les extrémistes juifs qu’ils combattent aujourd’hui politiquement sont les mêmes qui peuplent les colonies les plus reculées de Cisjordanie et qu’ils sont obligés de les défendre au péril de leur vie ou de celle de leurs enfants, gageons qu’une solution pérenne au conflit avec les Palestiniens se retrouvera à nouveau sur la table. Quelques pancartes et slogans en relation avec l’occupation mais aussi avec le droit des femmes et le mouvement LGBTQ+ commencent à fleurir dans les manifestations de la rue Kaplan. En démocratie tout est lié. C’est bon signe.

Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve.

24/06/2023 Commentaires fermés sur Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve. By Alain Soriano

Les défenseurs de l’Etat d’Israël aiment rappeler que ce tout petit pays à l’échelle de la planète est une pointure internationale dans de nombreux domaines : high tech, agriculture, technologie militaire, scientifique, médical, etc. Bref, une réussite et un motif de fierté pour de nombreux Juifs de Diaspora.

Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’Etat hébreu peut aujourd’hui se targuer d’être également en avance sur son temps dans le domaine politique. Tous les pays occidentaux sont confrontés à la montée des populismes et à la possible arrivée au pouvoir d’hommes n’ayant pas pour horizon politique le maintien du régime de la démocratie libérale. Israël est un précurseur sur le sujet puisque les populistes sont, depuis les dernières élections législatives de 2022, au cœur même des institutions démocratiques et en ont commencé le démantèlement : attaques incessantes contre l’intégrité des hauts fonctionnaires, y compris le procureur général et le gouverneur de la Banque d’Israël[1], pillage de milliards de shekels du budget de l’Etat pour financer des projets nationalistes et des écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les matières générales[2]. transformation de la police en milice politique fonctionnant selon les caprices d’un ministre raciste (Itamar Bern Gvir)[3], transfert des pouvoirs « civils » dans les colonies de Cisjordanie à un ministre colonisateur (Bezalel Smotrich)[4], relecture de tous les manuels scolaires par un membre du gouvernement ouvertement homophobe (Avi Maoz)[5]. La liste des lois liberticides s’allonge de jour en jour et l’Etat de droit vacille en Israël.

Si le ministre de la Justice Yariv Levin arrive à ses fins et fait voter son projet de réforme judiciaire visant à neutraliser la Cour suprême, Israël obtiendrait la palme du tout premier pays occidental à sortir définitivement du régime politique de la démocratie libérale. Sans la Cour Suprême pour se dresser sur sa route, la coalition gouvernementale actuellement en place en Israël aura les mains libres et pourra à sa guise sortir de l’Etat de droit, faire main basse sur tout le territoire de la Palestine biblique et y instaurer la loi de Moïse. Telle est d’ailleurs, selon l’actuel ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives: la mise en place d’une nouveau régime où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[6]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville. Bref, l’opposé d’un régime démocratique. De quoi faire rugir de plaisir Donald Trump et tous les suprémacistes blancs américains (Mike Pence, Ron DeSantis, etc.) qui se présentent les uns après les autres à l’investiture du parti républicain aux Etats-Unis.

Et les Juifs de Diaspora dans tout cela ? Aux Etats-Unis, ils protestent massivement contre les projets du gouvernement israélien au point que l’on évoque désormais une véritable cassure entre les Juifs américains et Israël[7]. En Europe, la situation est différente pour des raisons historiques. Un procès en illégitimité est généralement intenté aux Juifs de Diaspora qui osent adopter une position critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Sauf que cette fois, la réforme judiciaire ne concerne pas une affaire intérieure mais le cadre général même de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire le pacte commun qui fait liaison entre les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora. Le projet sioniste tel qu’imaginé par les Pères fondateurs (Herzl, Ben Gourion, etc.) est remis en cause par une coalition gouvernementale qui a un autre projet politique pour Israël. Face à ce danger existentiel, les Juifs de Diaspora ont l’obligation morale de sortir de leur devoir de réserve qui frise aujourd’hui le ridicule et de stopper par tous les moyens ce projet destructeur.

Car que les Juifs de Diaspora ne s’y trompent pas, si le projet de réforme judiciaire est voté, ce sera le prélude en Israël, soit à la guerre civile (le point de bascule a déjà failli avoir lieu en mars lorsque Benjamin Netanyahou a limogé son ministre de la Défense avant de se raviser face à la colère de la rue, la fronde de l’armée et l’annonce de la grève générale illimitée décrétée par le puissant syndicat Histadrouth), soit à un exode massif des Israéliens démocrates qui ne voudront pas vivre dans une théocratie. Avec en prime une restriction drastique de la Loi du Retour. Les ennemis d’Israël, et ils sont nombreux, se frottent déjà les mains.

[1]Israeli Minister Blasts Bank of Israel Governor as a ‘Savage’”, Haaretz, Jun. 2023;

[2] Ilan Ben Zion: “Israel’s Netanyahu and allies pass new budget with sweeping grants for settlements, ultra-Orthodox”, May 2023, Associated Press (AP);

[3] Dan Williams: “Israël autorise la création d’une garde nationale réclamée par Ben-Gvir » ; Avr. 2023, Reuters ;

[4] Udi Dekel: “From Slow to Accelerated Annexation: Transferring the Civil Administration from the Minister of Defense to the Minister of Settlement”, Dec. 2022, Institute for National Security Studies (INSS);

[5] Lior Dattel: “Far-right Homophobic MK Avi Maoz Is Back in Israel’s Schools to Monitor Curriculum, Administrators”, May 2023, Haaretz;

[6] Yair Sheleg :  “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.

[7] Yitz Greenberg: “Smotrich, Ben-Gvir are damaging Israel’s Jewish character”, Jerusalem Post, Oct. 2022

De quoi BDS est-il le nom?

20/10/2019 Commentaires fermés sur De quoi BDS est-il le nom? By Alain Soriano

La séquence politico-historique que nous vivons actuellement au Moyen-Orient est marquée par le naufrage du processus de paix d’Oslo entamé début des années quatre-vingt-dix qui avait pour ambition de régler le conflit israélo-palestinien par la création de « deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues ». La parenthèse d’Oslo presque refermée, d’autres propositions sont désormais posées sur la table pour régler ce que certains considèrent désormais le plus vieux conflit du monde : Etat binational, annexion unilatérale par Israël d’une partie des territoires situés de l’autre côté de la ligne verte de 1967, plan de paix américain, dit plan Kushner, dont le volet économique fut dévoilé lors d’une conférence à Bahreïn en juin 2019 tandis que son volet politique était dans le même temps renvoyé aux calendes grecques, etc.

L'irruption de BDS sur le devant de la scène

C’est dans ce contexte particulier que naît, se développe et désormais prospère la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, plus connue sous son acronyme BDS. Il s’agit d’une initiative lancée par un collectif regroupant 172 organisations et associations issues de la société civile palestinienne dont la Charte appelle la communauté internationale à boycotter l’Etat d’Israël jusqu’à ce que ce dernier respecte le droit international et mette un terme à l’occupation et à la colonisation.

Les oranges de l'apartheid

Dans les années 80, L’ANC de Nelson Mandela lançait un appel solennel aux Occidentaux pour boycotter les « oranges de l’Apartheid » en Afrique du Sud. Depuis le début de ce millénaire, BDS leur demande de poursuivre le même combat en boycottant cette fois les oranges de Jaffa. A l’instar des oranges sud-africaines, elles paraissent belles et juteuses mais la lecture de leur étiquette sur l’emballage révèle qu’elles proviennent en réalité d’un pays occupant qui oppresse un autre peuple.

BDS semble de prime abord aussi alléchant qu’une orange de Jaffa. Il dispose, sur le papier du moins, de tous les attributs pour combler les partisans à la recherche d’une solution politique négociée devant apporter la paix et la prospérité aux peuples de la région : le collectif se définit comme un mouvement citoyen dont l’action est ancrée dans les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, se dit novateur, performatif, pacifiste et antiraciste. Il se battrait uniquement pour que triomphe le respect du droit, de l’égalité et de la justice.

Il reste en revanche à vérifier soigneusement qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise et que la tenue d’apparat dans laquelle se drape BDS pour façonner son image auprès de la communauté internationale corresponde bien à la réalité. En analysant les différentes campagnes de boycott, on s’aperçoit très rapidement que le message envoyé par le collectif palestinien n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Soutient-il la solution politique de deux Etats ou nourrit-il d’autres ambitions ? Est-il le digne pendant du mouvement pacifiste israélien Shalom Archav ? Son boycott serait-il l’arme pacifique brandie par les plus faibles, les Palestiniens, devant permettre de rééquilibrer le rapport de force et contraindre le plus fort, Israël, au compris final ? Rien n’est moins sûr.

Une question sensible

L’objet même de notre étude est, nous le savons, une matière hautement inflammable. Comme tout ce qui touche de près ou de loin le conflit israélo-palestinien, les campagnes de boycott de BDS suscitent des débats passionnés dans le camp de ses partisans comme dans celui de ses détracteurs. Pour ses supporters, le collectif palestinien devrait recevoir le prix Nobel de la Paix tandis que pour le gouvernement israélien, preuves à l’appui, il ne s’agirait que d’un nid de terroristes. Quant à la grande majorité des représentants des communautés juives de Diaspora, l’antisionisme radical affiché par BDS ne serait que la face cachée de l’antisémitisme. Il convient de sortir de ces schémas de pensées qui empêchent d’analyser le collectif palestinien correctement.

Notre étude est destinée aux décideurs politiques mais également aux commentateurs (journalistes, experts, etc.) et plus généralement à tout eux qui souhaitent comprendre qui sont les acteurs et quels sont les véritables enjeux qui se cachent derrière la campagne de boycott de BDS. Elle a pour ambition de décrypter la mécanique de ce collectif palestinien et de proposer ensuite une toute nouvelle grille de lecture du mouvement : qui pilote BDS ? Comment le mouvement est-il structuré et organisé ? Quelles sont ses revendications politiques ? Est-il novateur ? Quelles sont ses filiations historiques ? Quelles sont les thématiques qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott ? Quelles sont les lignes directrices du boycott culturel et académique ? Etc.

Bref, de quoi BDS est-il le nom ?

La prochaine Gay-Pride à Gaza

La lutte pour les droits des LGBT+ est un combat politique. Que Tel-Aviv soit aujourd’hui la première, et la seule, ville gay-friendly du Moyen-Orient a quelque chose de très rafraîchissant car le combat est long et difficile. Pouvoir porter haut le drapeau arc-en-ciel du mouvement dans les rues de Jérusalem est également un acte d’une portée symbolique sans aucun autre précédent dans la région. Une jeune fille sauvagement assassinée par un juif religieux lors de la Gay Pride en 2015 en a d’ailleurs payé le prix fort. Quand on connait le côté obscurantiste de la ville Sainte et la sociologie toute particulière de sa population, avoir l’opportunité d’y revendiquer les droits LGBT+ relève bel et bien du miracle. 

La boycott d’Israël : gay-friendly?

Une part de la communauté LGBT+ occidentale a pourtant décidé de répondre à l’appel de BDS au boycott de toutes les manifestations LGBT+ (festivals, Gay Pride, etc.) qui se déroulent en Israël. La  dernière campagne en la matière s’intitule « Non au Pinkwashing de l’Eurovision ! Près de 90 groupes LGBT+ appellent au boycott du concours de chant en Israël ». Pour le collectif palestinien, la culture gay qui s’est développée notamment à Tel-Aviv[1] ferait en réalité partie d’un vaste plan de communication  (« hasbara ») élaboré par l’Etat hébreu pour se construire une bonne image auprès de la communauté internationale. L’opération de séduction (« pinkwashing ») des LGBT occidentaux est, selon le communiqué du PACBI à l’initiative de la dernière campagne, une « utilisation cynique des droits des homosexuels afin de détourner et de normaliser l’occupation, la colonisation et l’apartheid israélien »[2]

Campagne de boycott LGBT contre un festival de films à Tel-Aviv

Hégémonie culturelle

La raison d’une telle position doit être recherchée du côté de l’idéologie dominante qui traverse la couche intermédiaire du mouvement BDS. Les organisations altermondialistes (partis politiques, syndicats, ONG, etc.) qui ont pour mission de faire la jonction entre le collectif palestinien situé au sommet de la pyramide et les supporters occidentaux situés à sa base sont dans un combat idéologique. Elles considèrent que les démocraties capitalistes libérales ne servent que les intérêts de la classe dominante au détriment des peuples. Si on devait résumer leur pensée en utilisant la vulgate marxiste, on dirait que le rôle de la superstructure étatique, reflet des rapports de production, n’est rien d’autre que l’instrument par l’intermédiaire duquel la classe dominante exerce le pouvoir.

Dans ce mouvement de pensée, tous les « appareils idéologiques » de cet Etat libéral doivent être combattus car ils ne sont mis en place qu’au profit et dans l’intérêt des seuls dominants.  La bourgeoisie occidentale arrive par ex. à se maintenir au pouvoir parce qu’elle a établi son hégémonie culturelle sur la société par l’intermédiaire des intellectuels[4]. La culture occidentale, d’essence bourgeoise, est donc celle du groupe dominant et non du peuple. Il en va également de même du multipartisme, de la liberté d’expression, etc. On pourrait même y ajouter la laïcité dans le cas très particulier de la France.

Antisionisme de type idéologique

La gauche altermondialiste a inscrit la lutte contre le sionisme au programme de son combat idéologique. Le sionisme, rattaché au système mondial de l’impérialisme, est ainsi amalgamé à des thématiques comme l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. Dans cette représentation du monde, Israël, assimilé aux Etats-Unis et à la mondialisation libérale, est présenté comme un Etat colonial et raciste qui opprime sans fondement un peuple innocent du Tiers-Monde. Cet Etat est donc illégitime et, conformément à sa doxa, tous ses « appareils idéologiques » doivent être combattus car ils ne sont là que pour maintenir la domination de la minorité juive sur le peuple palestinien.

On comprend maintenant mieux la raison pour laquelle la gauche altermondialiste soutient tous les appels de BDS au boycott d’Israël y compris les milieux académiques et culturels. Les élites culturelles et universitaires sont « naturellement » les fers de lance de la « hasbara » version marketing. Israël leur assigne en permanence la mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique[5].La culture n’est donc jamais vue comme un moyen pacifiste servant à rapprocher les deux peuples mais exclusivement comme un instrument de propagande utilisé de manière machiavélique par Israël pour se donner une image positive à l’étranger. Il en va de même pour la culture gay qui s’est développée en Israël. La lutte LGBT+ est instrumentalisée par Israël pour se donner l’image d’un pays ouvert. Elle ne viserait qu’à « camoufler la guerre, l’occupation, le conservatisme religieux et l’homophobie derrière le paravent sea, sex and sun de la plaisante cité balnéaire »[3].

Campagne de boycott LGBT contre la Gay-Pride à Tel-Aviv

La prochaine Gay-Pride à Gaza ?  

Le combat en faveur des droits des LGBT+ est légitimement porté par la gauche altermondialiste… sauf lorsqu’il se manifeste en Israël. Dans ce cas, cette lutte devient automatiquement suspecte. Tout ce qui pourrait paraître positif dans la société israélienne n’est pour elle que leurre, propagande et duperie.

Plutôt que de boycotter les festivals gays israéliens, les groupes LGBT+ feraient bien de s’intéresser d’un peu plus près aux 172 organisations palestiniennes qui composent le collectif palestinien lui-même. Ils découvriraient alors l’ouverture toute relative de ces organisations aux respects des droits des homosexuels. Dans la région, la seule alternative qui se présente à un individu LGBT+ (de la Syrie en Irak en passant par les pays du Maghreb ou les territoires palestiniens) est au mieux la prison, au pire la mort. Sauf en Israël.

Ces groupes LGBT+ devraient proposer au collectif palestinien BDS de leur organiser une gigantesque Gay Pride dans les territoires palestiniens. Juste pour voir si Gaza se révèle aussi gay-friendly que Tel-Aviv.


[1] « Tel-Aviv, la capitale homosexuelle du Moyen-Orient », Le Monde, 08.06.2012.

[2] Boycott Eurovision in Israël and Tel-Aviv Pride

[3] Jean Stern : « Mirage gay à Tel-Aviv », Libertalia, Paris, 2017.

[4] Voir par ex. les travaux d’Antonio Gramsci et de Louis Althusser. Voir également « Rémi Noyon : « Mélenchon s’en prend au « parti médiatique ». Mais d’où sort cette expression ? », L’Obs, mars 2018.

[5] Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », mai 2017



Edito : Le boycott d’Israël est-il écologique?

Le parti Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) est un des nombreux signataires de la campagne internationale de boycott de l’Eurovision de la chanson qui se déroulera en 2019 en Israël. Cette grande messe télévisuelle a quelque chose de très surprenant. Elle ne ressemble strictement à rien pour qui apprécie un tant soi peu la musique mais arrive tout de même chaque année de manière assez hallucinante à attirer et maintenir en haleine des dizaines de millions de téléspectateurs surtout au moment du décompte des voix. « Malaise dans l’inculture » dirait sans doute Philippe Val.

L’appel au boycott de ce show totalement baroque semble donc a priori une excellente nouvelle. Sauf lorsque ce n’est pas l’émission en tant que telle que l’on veut supprimer mais le pays qui l’organise. A ce moment, on entre dans une toute autre dimension qu’il convient d’expliquer.

Il existe de nombreux cas dans l’histoire où le boycott a été utilisé pour tenter de faire plier un régime, un gouvernement ou une entreprise. On peut penser aux embargos internationaux à l’encontre du régime iranien ou nord-coréen, le boycott des oranges sud-africaines, etc. N’en déplaise aux Israéliens, le boycott comme arme politique n’est pas une mauvaise idée en soi.

Les campagnes de boycott lancées par le mouvement palestinien B.D.S. depuis 2005 sont d’une autre nature. Le collectif palestinien appelle la communauté internationale à faire pression sur l’Etat d’Israël afin dit-il de le contraindre à respecter le droit international et les droits humains des Palestiniens. Présentée de la sorte, l’idée du boycott paraît assez séduisante pour les nombreux partisans de la Paix puisqu’elle introduit un rééquilibrage indispensable dans le rapport de force entre les deux belligérants : la communauté internationale, jouant enfin son rôle d’arbitre, oblige la partie la plus forte (Israël) à prendre en considération les intérêts de la partie la plus faible (Palestine) dans le cadre d’un accord global négocié devant mettre un terme définitif au conflit israélo-palestinien.

Pour B.D.S., le processus de paix d’Oslo est une imposture

Il existe cependant un problème de taille dans le raisonnement : le mouvement B.D.S. n’est pas partisan d’une résolution pacifique du conflit par la création de deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues. Le collectif palestinien considère que le processus de paix d’Oslo a été le coup le plus dévastateur pour la lutte palestinienne d’autodétermination, parce qu’il a conduit à un glissement de paradigme : d’une lutte d’un peuple opprimé contre ses occupants et colonisateurs, à une dispute entre groupes nationaux avec des droits et des revendications moraux conflictuels mais symétriques. Il ressort de cette grille de lecture une idée simple selon laquelle une seule partie au conflit est légitime, l’autre ne l’est pas et doit disparaître. La création de deux Etats n’est pas envisageable car elle suppose un changement de paradigme. Seule la victoire de l’opprimé sur l’oppresseur est acceptable. La seule solution au conflit passe donc par la création d’un seul et unique Etat où les Palestiniens de confession musulmane deviendraient majoritaires. Quant au sort de la minorité de confession juive dans ce nouvel Etat, il n’est pas encore tranché. Comme le dit le leader du mouvement Omar Barghouti, la forme étatique que les peuples de la région établiront dépendra de leur volonté et de l’évolution de leurs relations. Vaste programme.

Israël, Etat colonial et raciste

Le boycott peut être vecteur des meilleures comme des pires intentions, tout dépend des objectifs politiques. Dans le cas du collectif palestinien, l’arme du boycott n’est pas utilisée pour trouver un compromis mais pour éliminer l’adversaire. Les messages qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott, y compris celle concernant l’Eurovision de la chanson, ne laissent planer aucun doute sur les objectifs du collectif palestinien. Israël y est décrit ad nauseam comme un Etat « raciste », « d’apartheid », « voyou », « criminel » « assassin et tueur d’enfants », etc. Raison pour laquelle la communauté internationale doit absolument contraindre l’État d’Israël à se « désioniser », c’est-à-dire à abandonner, de gré ou de force, son caractère juif, car il induit un régime d’exception de facto raciste. Si on devait reformuler la « doctrine politique » de B.D.S. autrement, on pourrait dire que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien passe par la négation de l’autodétermination du peuple juif.

Le rôle ambigu de certains partis politiques français

Le soutien de La France Insoumise…

De nombreux groupes intermédiaires occidentaux (partis politiques, syndicats, ONG, associations caritatives, etc.), mais également des intellectuels et des artistes, soutiennent aujourd’hui le collectif palestinien B.D.S. Ce soutien est hétéroclite (qu’y-a-t-il de commun entre une association anticapitaliste, une association islamiste et une association de la droite radicale ?), mais se retrouve sur un combat commun. Ce qui tend à démontrer que certains ont un agenda caché derrière leur soutien indéfectible à la cause palestinienne. Ainsi, par exemple, la gauche radicale se revendique par principe solidaire de tous les opprimés de la terre. Dans les faits, pourtant, son combat ne porte que sur Israël. Aussi, son soutien indéfectible et inconditionnel à la cause palestinienne au détriment de toutes les autres causes, au point d’en excuser tous les crimes commis en son nom, même les plus crapuleux, démontre bien qu’au fond des choses elle se place du côté des Palestiniens non pas parce que leur combat est légitime, mais parce que l’adversaire (Israël, suppôt du capitalisme et de l’impérialisme occidental) est clairement désigné. Elle est plus antisioniste que palestinophile. Il n’est donc pas étonnant de voir des partis politiques comme La France Insoumise (LFI) ou des syndicats comme l’UNEF adouber la lutte de B.D.S. visant à interdire aux Juifs d’avoir une partie du territoire où ils seraient majoritaires et où ils auraient un droit au retour. Ce qui compte pour ces organisations antisystèmes c’est la mise sous cloche de la minorité dominante par la majorité opprimée. Et dans cette lutte, toutes les compromissions sont possibles. Ce qu’il adviendra des deux peuples par la suite importe finalement assez peu en vertu du sacro-saint principe de non-ingérence cher à tous les altermondialistes. Jean-Luc Mélenchon et Clémentine Autin sont bien sur la même fréquence qu’Omar Bargouthi.

LFI

…Mais aussi des Ecolos

Plus curieux est le soutien apporté par le parti Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) à la campagne de boycott contre l’Eurovision en Israël. L’électeur écologiste est en droit de s’interroger sur les raisons d’un tel soutien. Que viennent faire les Verts dans ce jeu de quilles ? Le boycott d’Israël serait-il devenu écologique ?

Il ne s’agit a priori pas d’éliminer une émission musicale en ce qu’elle se révèle être une nuisance sonore et donc mauvaise pour la santé des citoyens européens au même titre que le glyphosate. Il faut donc que les Verts clarifient leur position. Soit ils considèrent que la seule solution au conflit israélo-palestinien passe par la création de deux Etats et dans ce cas, leur soutien à B.D.S. relève au mieux de l’ignorance au pire d’un calcul électoral pour éviter de se faire dépasser par leur gauche. Si c’est par bêtise ou ignorance, ils se doivent de retirer immédiatement leur signature de l’appel au boycott de l’Eurovision et dénoncer le projet politique du mouvement B.D.S., tout en réaffirmant leur soutien à la solution de deux Etats. Soit les Verts considèrent, à l’instar des autres partis antisystèmes comme La France Insoumise (LFI) ou le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), que la seule solution au conflit qui ronge le Moyen-Orient depuis un siècle passe par la négation du droit à l’autodétermination du peuple juif sur une partie du territoire de la Palestine. Dans ce cas, il est indispensable que les Verts confirment cette position et cessent d’être ambigus sur la question. EELV devra alors clairement indiquer qu’un Etat où les Juifs sont majoritaires et où ils ont un droit au retour équivaut, comme le martèle B.D.S. dans toutes ses campagnes de boycott, à un crime contre l’Humanité.

Le boycott d’Israël est un positionnement idéologique qui sent mauvais. Plutôt que de vouloir manger à tous les râteliers en mélangeant les genres, EELV ferait mieux de bousculer violemment cette gauche aujourd’hui à la dérive et qui a fait de l’antisionisme primaire le point cardinal de son action. Cela donnerait une bonne raison de voter écolo aux prochaines élections européennes.

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