Les critères définissant un parti politique selon Lapalombara et Weiner
Joseph Lapalombara et Myron Weiner, deux éminents politologues, ont décrit quatre conditions essentielles qu'une organisation doit remplir pour être considérée comme un parti politique. Ces conditions permettent de distinguer les partis politiques des autres formes d'organisations et mouvements politiques.
Selon ces auteurs, les partis politiques sont des organisations durables, complètes, animées par la volonté d’exercer le pouvoir et recherchant le soutien populaire :
Voici un aperçu des critères définis par Lapalombara et Weiner :
- Continuité dans le temps (organisation durable)
Un parti politique doit démontrer une certaine continuité dans le temps. Contrairement à un mouvement éphémère qui peut surgir autour d'un seul individu charismatique et disparaître lorsque ce leader quitte la scène, un parti politique doit avoir une structure et une organisation qui lui permettent de perdurer au-delà de la carrière d'un seul individu.
Ex 1 : le mouvement poujadiste a eu à un moment donné de l’histoire un succès électoral et a fait son entrée dans la scène politique française. Mais il a disparu en même temps que son créateur, Poujade, n’avait plus de succès.
Ex 2 : le parti gaulliste (RPR) est bien un parti politique puisqu’au moment où le général de Gaulle s’est retiré de la politique, le parti gaulliste à continuer à jouer sa partition dans le jeu politique français.
Ex 3: le mouvement « En Marche » créé par Emmanuel Macron en 1997 était attaché à la personne du candidat à l’élection présidentielle. Si ce mouvement n’arrive pas à se transformer en un parti politique, il est alors voué à disparaître en même temps que la disparition de Macron de la scène politique.
- Organisation structurelle
Un parti politique doit posséder une organisation structurelle bien définie. Cela signifie qu'il doit avoir une présence à différents niveaux du système politique, allant du local au national. Il ne peut pas se contenter d’exister uniquement au niveau parlementaire. Une organisation structurée comprend des comités locaux, régionaux et nationaux, des cadres et des militants qui travaillent ensemble pour atteindre les objectifs du parti.
- Volonté de conquérir et d'exercer le pouvoir politique
Un parti politique doit avoir pour objectif explicite de conquérir et d'exercer le pouvoir politique. Cela le distingue des autres groupes et mouvements, tels que les syndicats ou les groupes de pression, qui peuvent chercher à influencer le pouvoir sans nécessairement vouloir l'exercer. Les partis politiques se présentent aux élections avec l'intention de former un gouvernement ou de participer à la gouvernance. Ils acceptent la responsabilité des décisions prises et des politiques mises en œuvre lorsqu'ils sont au pouvoir.
Ex. Quand un syndicat pousse le gouvernement à adopter des mesures sociales pour les travailleurs, il n'est pas tenu responsable des décisions prises. Le syndicat peut donc se focaliser sur des intérêts spécifiques (comme défendre les pêcheurs), alors qu'un parti politique, destiné à gouverner, doit élargir ses propositions et offrir un programme général pour séduire le plus d'électeurs possible.
- Recherche du soutien populaire
Enfin, un parti politique doit constamment chercher à obtenir le soutien populaire, non seulement lors des périodes électorales mais aussi entre les élections. Cela nécessite une interaction continue avec les électeurs, la communication des idées et des programmes du parti, et la mobilisation de la base électorale. Le soutien populaire est essentiel non seulement pour gagner des élections, mais aussi pour maintenir la légitimité et l'influence du parti dans le système politique.
En résumé, pour être considéré comme un parti politique selon les critères de Lapalombara et Weiner, une organisation doit démontrer une continuité dans le temps, posséder une organisation structurelle, avoir la volonté de conquérir et d'exercer le pouvoir politique, et rechercher activement le soutien populaire. Ces conditions permettent de distinguer les partis politiques des autres formes d'organisations et de mouvements politiques.
Les « accords d’Oslo » étaient viciés !
Les « accords de paix » d'Oslo, symbolisés par la célèbre poignée de main entre Itzhak Rabin et Yasser Arafat le 13 septembre 1993 dans les jardins de la Maison-Blanche visaient à résoudre le conflit israélo-palestinien en créant deux États coexistant en paix et en sécurité.
Avec le temps, ces fameux accords ont perdu tout leur sens et sont en état de mort cérébrale depuis plus de 20 ans. Le massacre perpétré par le Hamas contre les Juifs le 7 octobre 2023 a cependant relancé le débat sur une solution durable au conflit. La communauté internationale persiste à soutenir cette « solution à deux États » comme la voie politique incontournable.
Les vices cachés des accords d’Oslo
Les accords d’Oslo ont été signés dans un contexte historique caractérisé par la chute du mur de Berlin en 1989 et l’émergence d’un monde unipolaire dirigé par les Etats-Unis. Dans une époque marquée par la victoire idéologique de la démocratie libérale sur les autres idéologies politiques (la fin de l’histoire selon la célèbre formule de Francis Fukuyama), l'accent est mis sur la promotion des valeurs occidentales par de vastes accords économiques de libre-échange avec le reste du monde. Bref, la démocratie libérale comme horizon politique indépassable. Shimon Peres rêve de voir un Proche-Orient pacifié et prospère, inspiré par le modèle européen.
Malgré leurs grandes ambitions, les accords d’Oslo étaient condamnés à échouer dès le début en raison de vices cachés. L'échec résulte principalement de leur philosophie libérale qui présumait que les deux États seraient démocratiques et coexisteraient pacifiquement, révélant ainsi un ethnocentrisme occidental.
La première erreur : deux états démocratiques
La première erreur des Occidentaux fut de croire que les deux peuples aspiraient à vivre, comme eux, dans une démocratie libérale.
Du côté israélien
Du côté israélien, ce postulat de départ avait un certain sens. L'État d'Israël s'est construit sur le modèle des démocraties occidentales : séparation des pouvoirs, élections libres, égalité citoyenne, etc. Ces principes libéraux sont proclamés dans la Déclaration d'Indépendance de 1948 (« L’État d’Israël assurera une égalité complète [...] à tous ses habitants sans distinction de religion et de race ou de sexe ») et forment le pacte social fondateur de l’Etat hébreu.
La démocratie israélienne, imparfaite comme toutes les autres, a ainsi fonctionné tant bien que mal jusqu'au coup d'État judiciaire perpétré par la coalition gouvernementale élue en 2022. Au lendemain de ces funestes élections, une prise de conscience soudaine a eu lieu parmi la moitié des Israéliens : l'autre moitié voulait remettre en cause les valeurs libérales et, par conséquent, le pacte social fondateur de l'État hébreu.
L’avenir d’Israël dans le camp des démocraties occidentales est ainsi clairement posé. La partie se jouera ces prochaines années. Si les forces démocratiques gagnent, elles devront alors terminer ce que les « pères fondateurs » avaient commencé, à savoir graver définitivement dans le marbre (via une véritable Constitution) les principes libéraux qui fondent le pacte social. Si les forces messianiques l'emportent, Israël ressemblera en revanche en tout point aux pays voisins.
Du côté palestinien
L'idée des Occidentaux d'une Palestine démocratique était par contre irréaliste dès le départ. Bien que les « pères fondateurs », comme Yasser Arafat, aient inscrit leur lutte nationaliste dans les idéaux laïcs du tiers-mondisme, le leadership palestinien s’est depuis longtemps détourné de cette voie. La lutte nationale palestinienne s’est construite en opposition aux valeurs occidentales. L'instauration d'une démocratie libérale en Palestine n'a jamais été envisagée. Les Palestiniens, ainsi que d’autres peuples de la région, aspirent souvent plus à la religion qu’à la démocratie libérale, une tendance confirmée lors des « printemps arabes ».
Deuxième erreur : la paix
La deuxième erreur coupable des Occidentaux a été de croire que l'opposé de la guerre devait absolument être la paix. Or, les divergences entre les parties étaient trop considérables : frontières, réfugiés, Jérusalem, etc. Les Occidentaux auraient mieux fait d'adopter la perspective de Raymond Aron et de chercher une situation de "non-guerre" plutôt que de s'obstiner sur une paix totale.
Et l’avenir ?
Le dernier vestige des accords d’Oslo, le dernier pilier encore debout, demeure l'accord de sécurité entre l'Autorité Palestinienne et Israël. Le territoire est divisé en trois zones : la zone A sous contrôle palestinien, la zone B à sécurité mixte, et la zone C sous contrôle israélien. La zone A s'est progressivement réduite au strict minimum.
Et c’est en s’appuyant sur ce dernier pilier qu’il va falloir reconstruire un avenir sans guerre, ce qui suppose la réunion de 4 conditions :
- Un Israël définitivement ancré dans le camp occidental, le seul susceptible de faire taire les plus radicaux de son camp et aboutir ensuite à un accord avec les Palestiniens. Un Israël messianique entraînerait, lui, une guerre civile et un conflit perpétuel avec les Palestiniens.
- Une expansion des zones A, qui sont les plus densément peuplées de Cisjordanie et de Gaza où la sécurité serait administrée par la l’Autorité Palestinienne. Ces nouvelles zones A pourraient même englober les villages arabes israéliens actuels. En contrepartie, les colonies de Cisjordanie demeureraient, elles, sous contrôle sécuritaire israélien.
- Renommer ces nouvelles zones A sous le nom de « Palestine ». Ce ne sera pas un acte motivé par un amour particulier pour les Palestiniens de la part des démocrates israéliens. Ils prendront cette décision par souci pour l'avenir de leurs propres enfants. Et de toute manière, aucun israélien n’avait l’intention d’aller faire ses courses à Gaza, Jenine ou Ramallah dans un futur proche.
- La signature, non pas d’un « accord de paix » mais uniquement d’un accord sécuritaire entre Israël et une Autorité Palestinienne, à charge pour cette dernière de combattre les factions islamistes extrémistes dans les zones A sous son autorité. Cela signifierait un régime autoritaire (c’est-à-dire non-démocratique) en Palestine, permettant aux dirigeants palestiniens de s'enrichir impunément comme contrepartie. Comme c’est le cas en Algérie ou en Egypte. En somme, une Palestine construite à l’image des autres pays de la région. Ni plus, ni moins.
Tel est le seul horizon politique indépassable au Proche-Orient.
La France Insoumise (LFI) est-elle antisémite ?
Le débat fait rage pour déterminer si LFI est un parti antisioniste ou antisémite. Pour ses pourfendeurs, l’obsession d’Israël au détriment de toutes les autres causes dans le monde est la preuve que son antisionisme n’est que la face cachée de son antisémitisme. En revanche, pour ses partisans, le parti est radicalement antisioniste mais se défend de tout antisémitisme. Mathilde Panot rappelle à cet effet qu’aucun des dirigeants de LFI n’a jamais été condamné pour des propos ou des actes antisémites (BFM TV, 21/06/2024). Ce faux procès en antisémitisme serait en réalité une cabale lancée par les officines sionistes contre LFI pour faire taire toute critique à l’encontre de l’Etat d’Israël.
La réponse est peut-être plus complexe que la position des uns ou des autres ne le laisse entendre.
Des « punchlines » relayant des poncifs et clichés antisémites.
LFI, dans sa communication envers son public, flirte constamment avec des poncifs et clichés antisémites. On se rappelle bien entendu du fameux dérapage assumé de Jean-Luc Mélenchon sur le « lobby juif » (« Retraite à points, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogants des communautaristes du CRIF : c’est non »). Ou du commentaire acéré du député Aymeric Caron, ramenant Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée Nationale à sa judéité supposée et ainsi au vieux trope antisémite de la double allégeance (« le soutien inconditionnel réélu au perchoir. La honte »).
La longue liste des sorties polémiques est désormais suffisamment documentée pour en décrypter l’intention. Elles ont un sens bien précis et sont très bien comprises par le public visé. Tout en restant juste en-deçà d’un propos injurieux qui tomberait sous le coup de la loi.
Bref, l’art de la communication politique.
La position radicalement antisioniste du parti
LFI se définit comme un parti radicalement antisioniste. Pour le dire assez simplement, elle considère le projet sioniste comme une entreprise criminelle coloniale et Israël comme un pays illégitime. La présence d’un Etat Juif sur toute ou partie de la Palestine équivaut à un crime d’apartheid, c’est-à-dire un crime contre l’humanité.
Remettre en question l'existence même de l'Etat d'Israël est-il antisémite ? Cela tombe en tout cas dans la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA approuvée le 3 décembre 2019 par l'Assemblée nationale et le 5 octobre 2021 par le Sénat français.
Les communautés juives rendues seules responsables de l’antisémitisme
LFI affirme que l’antisémitisme est devenu résiduel en France. Le racisme systémique serait ajourd'hui dirigé non plus envers les Juifs mais envers les personnes racisées.
Elle admet en revanche une corrélation entre les actes malveillants à l’encontre des communautés juives de France et le conflit au Moyen-Orient. Mais, dit-elle, c’est le soutien des communautés juives de France à Israël qui expliquerait la flambée des actes antijuifs en France. Les Juifs de France sont attaqués, non pas en tant que Juifs, mais en tant que complices d’un Etat criminel.
Et c’est là la véritable ambigüité de LFI sur l’antisémitisme : en décidant d’axer sa dernière campagne électorale européenne de 2024 sur le thème exclusif du « génocide à Gaza », elle savait pertinemment bien que cela allait exacerber le ressentiment antijuif du public racisé qu’elle visait. Mais face à la flambée des actes antisémites, elle se défend ensuite de tout antisémitisme en rejetant la faute sur les communautés juives elles-mêmes.
LFI est issue d’une famille politique qui a des relents antisémites
La position acèrbe de LFI sur les communautés juives n'est pas le fruit du hasard. Seuls les individus juifs ayant fait sécession avec leur communauté sont dignes d’éloges. Dans l’idéologie primaire marxiste, les communautés juives, c’est-à-dire les Juifs en tant que groupe social, sont du côté du pouvoir dominant. Le mythe du Juif banquier n’est pas l’apanage de la seule extrême-droite. Il faut pouvoir relire « La Question juive » de Marx pour s’en convaincre.
Il y a aussi une histoire de l’antisémitisme à gauche.
LFI est dans une idéologie qui prône la révolution par la violence
Fidèle à la conception léniniste, LFI se voit comme l’élite révolutionnaire, le parti qui va guider le peuple vers la révolution. Pour cela, elle doit exciter le peuple pour que celui-ci prenne conscience de sa condition, se révolte et renverse le pouvoir par la force. Que les communautés juives soient les premières victimes de la révolte populaire contre le pouvoir dominant est totalement en phase avec l’idéologie dominante.
Le processus de déshumanisation des Juifs est de nouveau en marche. Les Juifs d’Israël sont aujourd'hui traités par LFI comme des génocidaires, donc des nazis.
Et, pour LFI, cette réthorique vaut également pour les citoyens français de confession juive qui manifestent leur soutien au droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Ceux-là sont les complices d’un Etat génocidaire. Coupables, jamais victimes. C’est la signification de la petite expression que l’on entend systématiquement dans la bouche des partisans de LFI après chaque attentat contre un Juif en France ou dans le monde. Le fameux « Oui, mais ».
En cela LFI est bien un parti antisémite.
Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe?
L’Europe connait une montée inquiétante de la haine antijuive. Cette explosion de discours antisémites se manifeste non seulement dans la rue, à travers des actes de violence physique et verbale, mais aussi sur les réseaux sociaux, où les dérapages haineux se multiplient.
Les communautés juives européennes se retrouvent une nouvelle fois prises en étau, confrontées à une hostilité croissante provenant à la fois de l'extrême droite et de l'extrême gauche. Cette convergence d'attaques antisémites, qui gangrènent la société civile et politique représente une menace grave qu'il est impératif de prendre au sérieux.
La peur s'installe dans les communautés juives face à la montée de l'antisémitisme
La multiplication des actes antisémites ces derniers mois a créé un climat de peur et d'intimidation palpable au sein des communautés juives. En témoigne l'étude commanditée en 2024 par l'agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) révélant que l'antisémitisme fait désormais partie de la vie quotidienne de pratiquement tous les sondés. Cette situation a conduit de nombreuses familles à se poser une question qu'elles pensaient ne plus jamais devoir envisager : celle d'un nouvel exode.
Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe tant qu’il est encore temps ? Si oui, pour aller où ?
La réponse à ces questions peut être trouvée dans l’enchaînement des événements ayant entrainé la détérioration de la situation des Juifs en Europe dans les années trente. Cette époque, comme aujourd’hui, fût marquée par une forte explosion des actes antisémites, une cristallisation politique autour de la « question juive » et un processus de déshumanisation des Juifs qui aboutit, comme on le sait, à l'exclusion des Juifs de la Cité, puis de la vie même. Quel fût le point de bascule qui aurait dû inciter les Juifd au départ? Ce moment-charnière est la promulgation par le pouvoir politique de lois antijuives mettant définitivement les Juifs au ban de la société. Le piège se referme alors définitivement. A partir de là, il est trop tard pour partir.
Pour le reformuler autrement, c’est l’adoption de mesures visant à exclure les seuls Juifs de la société qui devrait constituer, pour les communautés juives européennes contemporaines, le signal de leur départ. Pour ne pas voir l’histoire se répéter.
Le signal de départ?
Or, il se fait que ces mesures antijuives ont commencé à faire leur réapparition en Europe : boycott des universitaires et chercheurs israéliens de presque toutes les universités européennes, refus d’organiser un match de football avec l’équipe nationale israélienne en Belgique, interdiction pour les entreprises commerciales israéliennes de participer à une foire commerciale en France, déprogrammation d’artistes israéliens de festivals de musique ou de culture, etc.
Faut-il s’inquiéter de toutes ces mesures qui additionnées font d’Israël le Juif des Nations ? La question est posée.
Certains répliqueront que les Juifs d’Europe ne sont pas visés par ces mesures de rétorsion et que seuls les Juifs vivant en Israël le sont. Mais c’est exactement le discours que les Juifs de France tenaient à l’encontre des Juifs immigrés (Ostjuden) dans les années 30. Avant que l’histoire ne les rattrape tous. L’antisémitisme ne connait pas de frontières.
D’autres jaugerons que c’est Israël qui est le problème et que sa disparition de la surface de la planète est la solution pour mettre un terme à l’antisémitisme en Europe. Ceux-là ne connaissent pas l’histoire. La haine des Juifs n’a pas attendu la création de l’Etat d’Israël pour prospérer. Et puis, une porte de sortie, c’est exactement ce qui a manqué aux Juifs d’Europe à la fin des années trente.
Jusqu’ici tout va bien.
Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ?
Cela fait maintenant plus de six mois que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent inlassablement chaque samedi soir dans la rue Kaplan de Tel-Aviv contre la réforme judiciaire. Un rituel s’est installé dans la capitale économique et culturelle du pays : début du cortège vers 19h30 chacun apportant son drapeau israélien, deux ou trois slogans chantés, déclarations politiques sur grand écran puis retour chez soi vers 22h jusqu’au week-end prochain). Jamais une manifestation réunissant chaque semaine entre 150.000 et 250.000 personnes n’aura durée aussi longtemps dans un pays occidental. Contrairement à une idée savamment entretenue par les membres de la coalition gouvernementale en place, ces manifestants ne sont pas des « gauchistes ». La gauche n’existe plus depuis longtemps en Israël !
Ceux et celles qui descendent chaque samedi à Tel-Aviv sont en réalité des démocrates à l’avant-garde du combat contre les forces populistes arrivées début de l’année 2023 au pouvoir en Israël. Le pays est, depuis l’élection, coupé en deux et à la croisée des chemins : soit Israël se maintient dans le giron des démocraties libérales, soit il bascule dans un nouveau régime politique gouverné par la loi de D-ieu et le suprémacisme juif. Les manifestants de la rue Kaplan jouent donc l’avenir du pays.
La question palestinienne est pourtant quasi absente dans les manifestations. Cela s’explique par le fait que depuis la deuxième Intifada, les Israéliens se sont laissés convaincre, à tort ou à raison, qu’il était vain de chercher un partenaire palestinien pour la paix et que la seule solution acceptable passait non pas par un accord de paix mais par le maintien d’un conflit à basse intensité ». Pendant 20 ans, les Israéliens ont donc vaqué à leurs occupations quotidiennes tout en confiant aux gouvernements successifs de droite comme de gauche la mise en place de mesures coercitives fortes pour maintenir l’adversaire à distance respectable. Cette approche a été payante puisque le conflit israélo-palestinien qui structurait la vie politique israélienne jusque dans les années 2000 a, depuis, quasiment disparu des débats publiques. Pendant ce temps, la droite ultra-nationaliste et messianique avançait et commençait à gangréner la société civile israélienne. Au point d’arriver au pouvoir lors des dernières élections législatives.
Le réveil des démocrates est donc brutal. Mais la tentative du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël de modifier le régime politique pourrait bien in fine…déboucher sur une nouveau processus de paix avec les Palestiniens. Celles et ceux qui manifestent rue Kaplan les samedis soirs ne le savent pas encore, mais la question palestinienne va bientôt leur revenir en boomerang. Tous luttent pour le maintien des fondements démocratiques du pays. « DE-MO-KRA-TIA » est le slogan entonné chaque samedi soir. Or par démocratie, il faut entendre a minima Etat de droit, égalité des droits entre les citoyens et extension des libertés individuelles (notamment les droits des LGBTQ+). Ces principes démocratiques sont universels et ne s’adressent pas seulement à la population juive. Les manifestants ne peuvent pas vouloir le maintien de la démocratie israélienne tout en maintenant un régime d’occupation et d’oppression de 2 millions Palestiniens en Cisjordanie. Démocratie et occupation ne sont pas compatibles.
Lorsque les démocrates israéliens comprendront que les extrémistes juifs qu’ils combattent aujourd’hui politiquement sont les mêmes qui peuplent les colonies les plus reculées de Cisjordanie et qu’ils sont obligés de les défendre au péril de leur vie ou de celle de leurs enfants, gageons qu’une solution pérenne au conflit avec les Palestiniens se retrouvera à nouveau sur la table. Quelques pancartes et slogans en relation avec l’occupation mais aussi avec le droit des femmes et le mouvement LGBTQ+ commencent à fleurir dans les manifestations de la rue Kaplan. En démocratie tout est lié. C’est bon signe.
Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve.
Les défenseurs de l’Etat d’Israël aiment rappeler que ce tout petit pays à l’échelle de la planète est une pointure internationale dans de nombreux domaines : high tech, agriculture, technologie militaire, scientifique, médical, etc. Bref, une réussite et un motif de fierté pour de nombreux Juifs de Diaspora.
Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’Etat hébreu peut aujourd’hui se targuer d’être également en avance sur son temps dans le domaine politique. Tous les pays occidentaux sont confrontés à la montée des populismes et à la possible arrivée au pouvoir d’hommes n’ayant pas pour horizon politique le maintien du régime de la démocratie libérale. Israël est un précurseur sur le sujet puisque les populistes sont, depuis les dernières élections législatives de 2022, au cœur même des institutions démocratiques et en ont commencé le démantèlement : attaques incessantes contre l’intégrité des hauts fonctionnaires, y compris le procureur général et le gouverneur de la Banque d’Israël[1], pillage de milliards de shekels du budget de l’Etat pour financer des projets nationalistes et des écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les matières générales[2]. transformation de la police en milice politique fonctionnant selon les caprices d’un ministre raciste (Itamar Bern Gvir)[3], transfert des pouvoirs « civils » dans les colonies de Cisjordanie à un ministre colonisateur (Bezalel Smotrich)[4], relecture de tous les manuels scolaires par un membre du gouvernement ouvertement homophobe (Avi Maoz)[5]. La liste des lois liberticides s’allonge de jour en jour et l’Etat de droit vacille en Israël.
Si le ministre de la Justice Yariv Levin arrive à ses fins et fait voter son projet de réforme judiciaire visant à neutraliser la Cour suprême, Israël obtiendrait la palme du tout premier pays occidental à sortir définitivement du régime politique de la démocratie libérale. Sans la Cour Suprême pour se dresser sur sa route, la coalition gouvernementale actuellement en place en Israël aura les mains libres et pourra à sa guise sortir de l’Etat de droit, faire main basse sur tout le territoire de la Palestine biblique et y instaurer la loi de Moïse. Telle est d’ailleurs, selon l’actuel ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives: la mise en place d’une nouveau régime où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[6]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville. Bref, l’opposé d’un régime démocratique. De quoi faire rugir de plaisir Donald Trump et tous les suprémacistes blancs américains (Mike Pence, Ron DeSantis, etc.) qui se présentent les uns après les autres à l’investiture du parti républicain aux Etats-Unis.
Et les Juifs de Diaspora dans tout cela ? Aux Etats-Unis, ils protestent massivement contre les projets du gouvernement israélien au point que l’on évoque désormais une véritable cassure entre les Juifs américains et Israël[7]. En Europe, la situation est différente pour des raisons historiques. Un procès en illégitimité est généralement intenté aux Juifs de Diaspora qui osent adopter une position critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Sauf que cette fois, la réforme judiciaire ne concerne pas une affaire intérieure mais le cadre général même de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire le pacte commun qui fait liaison entre les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora. Le projet sioniste tel qu’imaginé par les Pères fondateurs (Herzl, Ben Gourion, etc.) est remis en cause par une coalition gouvernementale qui a un autre projet politique pour Israël. Face à ce danger existentiel, les Juifs de Diaspora ont l’obligation morale de sortir de leur devoir de réserve qui frise aujourd’hui le ridicule et de stopper par tous les moyens ce projet destructeur.
Car que les Juifs de Diaspora ne s’y trompent pas, si le projet de réforme judiciaire est voté, ce sera le prélude en Israël, soit à la guerre civile (le point de bascule a déjà failli avoir lieu en mars lorsque Benjamin Netanyahou a limogé son ministre de la Défense avant de se raviser face à la colère de la rue, la fronde de l’armée et l’annonce de la grève générale illimitée décrétée par le puissant syndicat Histadrouth), soit à un exode massif des Israéliens démocrates qui ne voudront pas vivre dans une théocratie. Avec en prime une restriction drastique de la Loi du Retour. Les ennemis d’Israël, et ils sont nombreux, se frottent déjà les mains.
[1] “Israeli Minister Blasts Bank of Israel Governor as a ‘Savage’”, Haaretz, Jun. 2023;
[2] Ilan Ben Zion: “Israel’s Netanyahu and allies pass new budget with sweeping grants for settlements, ultra-Orthodox”, May 2023, Associated Press (AP);
[3] Dan Williams: “Israël autorise la création d’une garde nationale réclamée par Ben-Gvir » ; Avr. 2023, Reuters ;
[4] Udi Dekel: “From Slow to Accelerated Annexation: Transferring the Civil Administration from the Minister of Defense to the Minister of Settlement”, Dec. 2022, Institute for National Security Studies (INSS);
[5] Lior Dattel: “Far-right Homophobic MK Avi Maoz Is Back in Israel’s Schools to Monitor Curriculum, Administrators”, May 2023, Haaretz;
[6] Yair Sheleg : “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.
[7] Yitz Greenberg: “Smotrich, Ben-Gvir are damaging Israel’s Jewish character”, Jerusalem Post, Oct. 2022
De quoi BDS est-il le nom?
La séquence politico-historique que nous vivons actuellement au Moyen-Orient est marquée par le naufrage du processus de paix d’Oslo entamé début des années quatre-vingt-dix qui avait pour ambition de régler le conflit israélo-palestinien par la création de « deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues ». La parenthèse d’Oslo presque refermée, d’autres propositions sont désormais posées sur la table pour régler ce que certains considèrent désormais le plus vieux conflit du monde : Etat binational, annexion unilatérale par Israël d’une partie des territoires situés de l’autre côté de la ligne verte de 1967, plan de paix américain, dit plan Kushner, dont le volet économique fut dévoilé lors d’une conférence à Bahreïn en juin 2019 tandis que son volet politique était dans le même temps renvoyé aux calendes grecques, etc.
L'irruption de BDS sur le devant de la scène
C’est dans ce contexte particulier que naît, se développe et désormais prospère la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, plus connue sous son acronyme BDS. Il s’agit d’une initiative lancée par un collectif regroupant 172 organisations et associations issues de la société civile palestinienne dont la Charte appelle la communauté internationale à boycotter l’Etat d’Israël jusqu’à ce que ce dernier respecte le droit international et mette un terme à l’occupation et à la colonisation.
Les oranges de l'apartheid
Dans les années 80, L’ANC de Nelson Mandela lançait un appel solennel aux Occidentaux pour boycotter les « oranges de l’Apartheid » en Afrique du Sud. Depuis le début de ce millénaire, BDS leur demande de poursuivre le même combat en boycottant cette fois les oranges de Jaffa. A l’instar des oranges sud-africaines, elles paraissent belles et juteuses mais la lecture de leur étiquette sur l’emballage révèle qu’elles proviennent en réalité d’un pays occupant qui oppresse un autre peuple.
BDS semble de prime abord aussi alléchant qu’une orange de Jaffa. Il dispose, sur le papier du moins, de tous les attributs pour combler les partisans à la recherche d’une solution politique négociée devant apporter la paix et la prospérité aux peuples de la région : le collectif se définit comme un mouvement citoyen dont l’action est ancrée dans les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, se dit novateur, performatif, pacifiste et antiraciste. Il se battrait uniquement pour que triomphe le respect du droit, de l’égalité et de la justice.
Il reste en revanche à vérifier soigneusement qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise et que la tenue d’apparat dans laquelle se drape BDS pour façonner son image auprès de la communauté internationale corresponde bien à la réalité. En analysant les différentes campagnes de boycott, on s’aperçoit très rapidement que le message envoyé par le collectif palestinien n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Soutient-il la solution politique de deux Etats ou nourrit-il d’autres ambitions ? Est-il le digne pendant du mouvement pacifiste israélien Shalom Archav ? Son boycott serait-il l’arme pacifique brandie par les plus faibles, les Palestiniens, devant permettre de rééquilibrer le rapport de force et contraindre le plus fort, Israël, au compris final ? Rien n’est moins sûr.
Une question sensible
L’objet même de notre étude est, nous le savons, une matière hautement inflammable. Comme tout ce qui touche de près ou de loin le conflit israélo-palestinien, les campagnes de boycott de BDS suscitent des débats passionnés dans le camp de ses partisans comme dans celui de ses détracteurs. Pour ses supporters, le collectif palestinien devrait recevoir le prix Nobel de la Paix tandis que pour le gouvernement israélien, preuves à l’appui, il ne s’agirait que d’un nid de terroristes. Quant à la grande majorité des représentants des communautés juives de Diaspora, l’antisionisme radical affiché par BDS ne serait que la face cachée de l’antisémitisme. Il convient de sortir de ces schémas de pensées qui empêchent d’analyser le collectif palestinien correctement.
Notre étude est destinée aux décideurs politiques mais également aux commentateurs (journalistes, experts, etc.) et plus généralement à tout eux qui souhaitent comprendre qui sont les acteurs et quels sont les véritables enjeux qui se cachent derrière la campagne de boycott de BDS. Elle a pour ambition de décrypter la mécanique de ce collectif palestinien et de proposer ensuite une toute nouvelle grille de lecture du mouvement : qui pilote BDS ? Comment le mouvement est-il structuré et organisé ? Quelles sont ses revendications politiques ? Est-il novateur ? Quelles sont ses filiations historiques ? Quelles sont les thématiques qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott ? Quelles sont les lignes directrices du boycott culturel et académique ? Etc.
Bref, de quoi BDS est-il le nom ?
La prochaine Gay-Pride à Gaza
La lutte pour les droits des LGBT+ est un combat politique. Que Tel-Aviv soit aujourd’hui la première, et la seule, ville gay-friendly du Moyen-Orient a quelque chose de très rafraîchissant car le combat est long et difficile. Pouvoir porter haut le drapeau arc-en-ciel du mouvement dans les rues de Jérusalem est également un acte d’une portée symbolique sans aucun autre précédent dans la région. Une jeune fille sauvagement assassinée par un juif religieux lors de la Gay Pride en 2015 en a d’ailleurs payé le prix fort. Quand on connait le côté obscurantiste de la ville Sainte et la sociologie toute particulière de sa population, avoir l’opportunité d’y revendiquer les droits LGBT+ relève bel et bien du miracle.
La boycott d’Israël : gay-friendly?
Une part de la communauté LGBT+ occidentale a pourtant décidé de répondre à l’appel de BDS au boycott de toutes les manifestations LGBT+ (festivals, Gay Pride, etc.) qui se déroulent en Israël. La dernière campagne en la matière s’intitule « Non au Pinkwashing de l’Eurovision ! Près de 90 groupes LGBT+ appellent au boycott du concours de chant en Israël ». Pour le collectif palestinien, la culture gay qui s’est développée notamment à Tel-Aviv[1] ferait en réalité partie d’un vaste plan de communication (« hasbara ») élaboré par l’Etat hébreu pour se construire une bonne image auprès de la communauté internationale. L’opération de séduction (« pinkwashing ») des LGBT occidentaux est, selon le communiqué du PACBI à l’initiative de la dernière campagne, une « utilisation cynique des droits des homosexuels afin de détourner et de normaliser l’occupation, la colonisation et l’apartheid israélien »[2].
Hégémonie culturelle
La raison d’une telle position doit être recherchée du côté de l’idéologie dominante qui traverse la couche intermédiaire du mouvement BDS. Les organisations altermondialistes (partis politiques, syndicats, ONG, etc.) qui ont pour mission de faire la jonction entre le collectif palestinien situé au sommet de la pyramide et les supporters occidentaux situés à sa base sont dans un combat idéologique. Elles considèrent que les démocraties capitalistes libérales ne servent que les intérêts de la classe dominante au détriment des peuples. Si on devait résumer leur pensée en utilisant la vulgate marxiste, on dirait que le rôle de la superstructure étatique, reflet des rapports de production, n’est rien d’autre que l’instrument par l’intermédiaire duquel la classe dominante exerce le pouvoir.
Dans ce mouvement de pensée, tous les « appareils idéologiques » de cet Etat libéral doivent être combattus car ils ne sont mis en place qu’au profit et dans l’intérêt des seuls dominants. La bourgeoisie occidentale arrive par ex. à se maintenir au pouvoir parce qu’elle a établi son hégémonie culturelle sur la société par l’intermédiaire des intellectuels[4]. La culture occidentale, d’essence bourgeoise, est donc celle du groupe dominant et non du peuple. Il en va également de même du multipartisme, de la liberté d’expression, etc. On pourrait même y ajouter la laïcité dans le cas très particulier de la France.
Antisionisme de type idéologique
La gauche altermondialiste a inscrit la lutte contre le sionisme au programme de son combat idéologique. Le sionisme, rattaché au système mondial de l’impérialisme, est ainsi amalgamé à des thématiques comme l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. Dans cette représentation du monde, Israël, assimilé aux Etats-Unis et à la mondialisation libérale, est présenté comme un Etat colonial et raciste qui opprime sans fondement un peuple innocent du Tiers-Monde. Cet Etat est donc illégitime et, conformément à sa doxa, tous ses « appareils idéologiques » doivent être combattus car ils ne sont là que pour maintenir la domination de la minorité juive sur le peuple palestinien.
On comprend maintenant mieux la raison pour laquelle la gauche altermondialiste soutient tous les appels de BDS au boycott d’Israël y compris les milieux académiques et culturels. Les élites culturelles et universitaires sont « naturellement » les fers de lance de la « hasbara » version marketing. Israël leur assigne en permanence la mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique[5].La culture n’est donc jamais vue comme un moyen pacifiste servant à rapprocher les deux peuples mais exclusivement comme un instrument de propagande utilisé de manière machiavélique par Israël pour se donner une image positive à l’étranger. Il en va de même pour la culture gay qui s’est développée en Israël. La lutte LGBT+ est instrumentalisée par Israël pour se donner l’image d’un pays ouvert. Elle ne viserait qu’à « camoufler la guerre, l’occupation, le conservatisme religieux et l’homophobie derrière le paravent sea, sex and sun de la plaisante cité balnéaire »[3].
La prochaine Gay-Pride à Gaza ?
Le combat en faveur des droits des LGBT+ est légitimement porté par la gauche altermondialiste… sauf lorsqu’il se manifeste en Israël. Dans ce cas, cette lutte devient automatiquement suspecte. Tout ce qui pourrait paraître positif dans la société israélienne n’est pour elle que leurre, propagande et duperie.
Plutôt que de boycotter les festivals gays israéliens, les groupes LGBT+ feraient bien de s’intéresser d’un peu plus près aux 172 organisations palestiniennes qui composent le collectif palestinien lui-même. Ils découvriraient alors l’ouverture toute relative de ces organisations aux respects des droits des homosexuels. Dans la région, la seule alternative qui se présente à un individu LGBT+ (de la Syrie en Irak en passant par les pays du Maghreb ou les territoires palestiniens) est au mieux la prison, au pire la mort. Sauf en Israël.
Ces groupes LGBT+ devraient proposer au collectif palestinien BDS de leur organiser une gigantesque Gay Pride dans les territoires palestiniens. Juste pour voir si Gaza se révèle aussi gay-friendly que Tel-Aviv.
[1] « Tel-Aviv, la capitale homosexuelle du Moyen-Orient », Le Monde, 08.06.2012.
[2] Boycott Eurovision in Israël and Tel-Aviv Pride
[3] Jean Stern : « Mirage gay à Tel-Aviv », Libertalia, Paris, 2017.
[4] Voir par ex. les travaux d’Antonio Gramsci et de Louis Althusser. Voir également « Rémi Noyon : « Mélenchon s’en prend au « parti médiatique ». Mais d’où sort cette expression ? », L’Obs, mars 2018.
[5] Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », mai 2017
Edito : Le boycott d’Israël est-il écologique?
Le parti Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) est un des nombreux signataires de la campagne internationale de boycott de l’Eurovision de la chanson qui se déroulera en 2019 en Israël. Cette grande messe télévisuelle a quelque chose de très surprenant. Elle ne ressemble strictement à rien pour qui apprécie un tant soi peu la musique mais arrive tout de même chaque année de manière assez hallucinante à attirer et maintenir en haleine des dizaines de millions de téléspectateurs surtout au moment du décompte des voix. « Malaise dans l’inculture » dirait sans doute Philippe Val.
L’appel au boycott de ce show totalement baroque semble donc a priori une excellente nouvelle. Sauf lorsque ce n’est pas l’émission en tant que telle que l’on veut supprimer mais le pays qui l’organise. A ce moment, on entre dans une toute autre dimension qu’il convient d’expliquer.
Il existe de nombreux cas dans l’histoire où le boycott a été utilisé pour tenter de faire plier un régime, un gouvernement ou une entreprise. On peut penser aux embargos internationaux à l’encontre du régime iranien ou nord-coréen, le boycott des oranges sud-africaines, etc. N’en déplaise aux Israéliens, le boycott comme arme politique n’est pas une mauvaise idée en soi.
Les campagnes de boycott lancées par le mouvement palestinien B.D.S. depuis 2005 sont d’une autre nature. Le collectif palestinien appelle la communauté internationale à faire pression sur l’Etat d’Israël afin dit-il de le contraindre à respecter le droit international et les droits humains des Palestiniens. Présentée de la sorte, l’idée du boycott paraît assez séduisante pour les nombreux partisans de la Paix puisqu’elle introduit un rééquilibrage indispensable dans le rapport de force entre les deux belligérants : la communauté internationale, jouant enfin son rôle d’arbitre, oblige la partie la plus forte (Israël) à prendre en considération les intérêts de la partie la plus faible (Palestine) dans le cadre d’un accord global négocié devant mettre un terme définitif au conflit israélo-palestinien.
Pour B.D.S., le processus de paix d’Oslo est une imposture
Il existe cependant un problème de taille dans le raisonnement : le mouvement B.D.S. n’est pas partisan d’une résolution pacifique du conflit par la création de deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues. Le collectif palestinien considère que le processus de paix d’Oslo a été le coup le plus dévastateur pour la lutte palestinienne d’autodétermination, parce qu’il a conduit à un glissement de paradigme : d’une lutte d’un peuple opprimé contre ses occupants et colonisateurs, à une dispute entre groupes nationaux avec des droits et des revendications moraux conflictuels mais symétriques. Il ressort de cette grille de lecture une idée simple selon laquelle une seule partie au conflit est légitime, l’autre ne l’est pas et doit disparaître. La création de deux Etats n’est pas envisageable car elle suppose un changement de paradigme. Seule la victoire de l’opprimé sur l’oppresseur est acceptable. La seule solution au conflit passe donc par la création d’un seul et unique Etat où les Palestiniens de confession musulmane deviendraient majoritaires. Quant au sort de la minorité de confession juive dans ce nouvel Etat, il n’est pas encore tranché. Comme le dit le leader du mouvement Omar Barghouti, la forme étatique que les peuples de la région établiront dépendra de leur volonté et de l’évolution de leurs relations. Vaste programme.
Israël, Etat colonial et raciste
Le boycott peut être vecteur des meilleures comme des pires intentions, tout dépend des objectifs politiques. Dans le cas du collectif palestinien, l’arme du boycott n’est pas utilisée pour trouver un compromis mais pour éliminer l’adversaire. Les messages qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott, y compris celle concernant l’Eurovision de la chanson, ne laissent planer aucun doute sur les objectifs du collectif palestinien. Israël y est décrit ad nauseam comme un Etat « raciste », « d’apartheid », « voyou », « criminel » « assassin et tueur d’enfants », etc. Raison pour laquelle la communauté internationale doit absolument contraindre l’État d’Israël à se « désioniser », c’est-à-dire à abandonner, de gré ou de force, son caractère juif, car il induit un régime d’exception de facto raciste. Si on devait reformuler la « doctrine politique » de B.D.S. autrement, on pourrait dire que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien passe par la négation de l’autodétermination du peuple juif.
Le rôle ambigu de certains partis politiques français
Le soutien de La France Insoumise…
De nombreux groupes intermédiaires occidentaux (partis politiques, syndicats, ONG, associations caritatives, etc.), mais également des intellectuels et des artistes, soutiennent aujourd’hui le collectif palestinien B.D.S. Ce soutien est hétéroclite (qu’y-a-t-il de commun entre une association anticapitaliste, une association islamiste et une association de la droite radicale ?), mais se retrouve sur un combat commun. Ce qui tend à démontrer que certains ont un agenda caché derrière leur soutien indéfectible à la cause palestinienne. Ainsi, par exemple, la gauche radicale se revendique par principe solidaire de tous les opprimés de la terre. Dans les faits, pourtant, son combat ne porte que sur Israël. Aussi, son soutien indéfectible et inconditionnel à la cause palestinienne au détriment de toutes les autres causes, au point d’en excuser tous les crimes commis en son nom, même les plus crapuleux, démontre bien qu’au fond des choses elle se place du côté des Palestiniens non pas parce que leur combat est légitime, mais parce que l’adversaire (Israël, suppôt du capitalisme et de l’impérialisme occidental) est clairement désigné. Elle est plus antisioniste que palestinophile. Il n’est donc pas étonnant de voir des partis politiques comme La France Insoumise (LFI) ou des syndicats comme l’UNEF adouber la lutte de B.D.S. visant à interdire aux Juifs d’avoir une partie du territoire où ils seraient majoritaires et où ils auraient un droit au retour. Ce qui compte pour ces organisations antisystèmes c’est la mise sous cloche de la minorité dominante par la majorité opprimée. Et dans cette lutte, toutes les compromissions sont possibles. Ce qu’il adviendra des deux peuples par la suite importe finalement assez peu en vertu du sacro-saint principe de non-ingérence cher à tous les altermondialistes. Jean-Luc Mélenchon et Clémentine Autin sont bien sur la même fréquence qu’Omar Bargouthi.
…Mais aussi des Ecolos
Plus curieux est le soutien apporté par le parti Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) à la campagne de boycott contre l’Eurovision en Israël. L’électeur écologiste est en droit de s’interroger sur les raisons d’un tel soutien. Que viennent faire les Verts dans ce jeu de quilles ? Le boycott d’Israël serait-il devenu écologique ?
Il ne s’agit a priori pas d’éliminer une émission musicale en ce qu’elle se révèle être une nuisance sonore et donc mauvaise pour la santé des citoyens européens au même titre que le glyphosate. Il faut donc que les Verts clarifient leur position. Soit ils considèrent que la seule solution au conflit israélo-palestinien passe par la création de deux Etats et dans ce cas, leur soutien à B.D.S. relève au mieux de l’ignorance au pire d’un calcul électoral pour éviter de se faire dépasser par leur gauche. Si c’est par bêtise ou ignorance, ils se doivent de retirer immédiatement leur signature de l’appel au boycott de l’Eurovision et dénoncer le projet politique du mouvement B.D.S., tout en réaffirmant leur soutien à la solution de deux Etats. Soit les Verts considèrent, à l’instar des autres partis antisystèmes comme La France Insoumise (LFI) ou le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), que la seule solution au conflit qui ronge le Moyen-Orient depuis un siècle passe par la négation du droit à l’autodétermination du peuple juif sur une partie du territoire de la Palestine. Dans ce cas, il est indispensable que les Verts confirment cette position et cessent d’être ambigus sur la question. EELV devra alors clairement indiquer qu’un Etat où les Juifs sont majoritaires et où ils ont un droit au retour équivaut, comme le martèle B.D.S. dans toutes ses campagnes de boycott, à un crime contre l’Humanité.
Le boycott d’Israël est un positionnement idéologique qui sent mauvais. Plutôt que de vouloir manger à tous les râteliers en mélangeant les genres, EELV ferait mieux de bousculer violemment cette gauche aujourd’hui à la dérive et qui a fait de l’antisionisme primaire le point cardinal de son action. Cela donnerait une bonne raison de voter écolo aux prochaines élections européennes.