Monthly Archive 26/01/2019

Essai de qualification de la structure BDS

Un rassemblement par adhésion?

BDS présente sa Campagne Internationale de Boycott comme une initiative citoyenne spontanée caractéristique de la démocratie participative où le peuple s’exprime directement (à l’instar des mouvements sociaux comme « Nuit Debout » ou « Occupy Wall-Street »). Dans le cadre des lignes de conduites définies par l’appel de 2005, une grande latitude serait laissée aux initiatives locales, régionales et nationales pour déterminer les cibles de leurs actions et les tactiques à adopter. Le mouvement présente sur le papier une organisation structurelle pour le moins assez sommaire : il ne dispose d’aucune adresse officielle, n’a pas de numéro de téléphone[1], n’a aucune existence légale et compte principalement sur les dons de ses militants pour financer ses actions. Il se donne ainsi l’image d’une proto-organisation aux structures souples et aux effectifs mouvants. Seuls les noyaux organisateurs du mouvement présenteraient un caractère durable.

A suivre cette présentation, BDS serait une formation sociale que l’on qualifierait en Sciences Politiques de « rassemblement par adhésion » et qui serait située dans le schéma du système politique, à un niveau approximativement équivalent à celui des groupes intermédiaires.

Requalification

Cette présentation, et donc a fortiori cette qualification, ne résiste cependant pas à l’analyse pour les raisons principales suivantes:

  • Le lancement de la campagne de boycott date de 2005 et a donc déjà une certaine permanence. Cette présence sur le devant de la scène depuis plusieurs années contredit le caractère « spontané » qui caractérise les mouvements citoyens. Ces derniers ne peuvent espérer subsister dans la durée sans développer une structure adaptée à leurs besoins[2].
  • BDS prend la forme d’une structure organisationnelle dotée de moyens financiers, matériels et humains ; elle dispose d’une organisation pyramidale du pouvoir en trois couches, un état-major, des relais intermédiaires, une base active, un financement et même une constitution (la Charte B.D.S.).
  • BDS a une fonction de représentation : il se présente comme le porte-voix (porte-parole) des citoyens palestiniens et de la communauté internationale qui refusent d’admettre la politique criminelle d’Israël envers les Palestiniens. Cette fonction de représentation prend l’aspect de rassemblement (C’est le nombre de citoyens, associations, organisations syndicales et politiques qui rejoindront cette campagne qui permettra d’atteindre l’objectif politique).
  • BDS a une fonction de revendication : il entend faire pression sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils appliquent des sanctions, qui servira de levier pour contraindre à engager le gouvernement israélien dans l’application du droit international et le respect des droits des Palestiniens.
  • BDS a des objectifs politiques précis ;

BDS n’est donc pas qu’une initiative citoyenne spontanée et ne peut de ce fait pas simplement être qualifié de « rassemblement par adhésion ».  Le mouvement présente en réalité toutes les caractéristiques d’un « groupe promotionnel » dont l’intérêt est politique et qui exerce de manière principale une pression sur le pouvoir (à l’instar de la Ligue des Droits de l’homme ou des comités pour la dépénalisation de l’avortement). Ces formations sociales sont qualifiées en sciences politiques de GROUPE DE PRESSION.


[1] Le seul moyen pour entrer en contact avec les organisateurs du mouvement est une adresse email.

[2] Voir notamment à ce sujet: Omar Barghouti: “BDS: Discussing Difficult Issues in a Fast-Growing Movement”, in Al-Shabaka, 14/06/2014.

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Pourquoi le conflit israélo-palestinien est-il aussi passionnel?

Il n’existe aucune corrélation entre le conflit israélo-palestinien, aussi terrible fût-il, et le degré de mobilisation internationale qu’il suscite. C’est ce qui le rend singulier.

Les défenseurs d’Israël considèrent cette fascination éminemment suspecte. L’antisémitisme dont les Juifs seraient victimes en serait, selon eux, l’explication majeure.

Les défenseurs de la Palestine rejette catégoriquement cette explication et dénoncent même « le terrorisme intellectuel qui viserait à empêcher tout débat quant à la politique du gouvernement d’Israël et qui consisterait à taxer d’antisémite toute personne qui viendrait à critiquer celle-ci« . Ils considèrent cet intérêt international totalement légitime et pleinement justifié. L’injustice historique subie par les Palestiniens, le lourd tribut payé par la population palestinienne, la gravité de certains actes commis par les Israéliens, leur violation systématique du droit international justifieraient, à eux seuls, la centralité du conflit israélo-palestinien sur l’échelle internationale des conflits régionaux.

Une étude dirigée par Alain Soriano, Directeur du CERSP, entend proposer une autre explication.

L’étude se trouve en annexe en accès libre. Elle peut également être consultée sur le site du magazine Regards.

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L’organisation pyramidale de BDS

Le mouvement BDS est composé de deux branches, BDS Palestine et BDS Internationale. Il se structure de manière pyramidale en trois couches - supérieure, intermédiaire et inférieure - que l'on peut expliciter de la manière suivante.

Les deux branches

  • La branche palestinienne est composée des 172 organisations et associations palestiniennes signataires de la Charte BDS de 2005 appelant la communauté internationale au boycott intégral d’Israël.

  • La branche internationale regroupe un ensemble hétéroclite de supporters étrangers (partis politiques, ONG, syndicats, associations caritatives, etc.) ayant répondu à l’appel de BDS Palestine. Ces partenaires et militants étrangers relayent les campagnes de boycott orchestrées par le collectif palestinien dans leurs pays respectifs.

Une organisation pyramidale

BDS est un mouvement fortement centralisé organisé sous une forme pyramidale comportant trois échelons :

Echelon supérieur : le comité central BNC

A l’échelon supérieur se trouve un comité central, le comité National Palestinien du BDS (BNC) qui représente les 172 organisations palestiniennes signataires et qui administre et gère la Campagne Internationale de boycott. Le comité joue un rôle central et centralisateur.

a) Son rôle central

Le BNC est le véritable garant des objectifs politiques définis par les 172 signataires et prend des décisions qui engagent l'ensemble des partenaires étrangers qui soutiennent la Campagne.

b) Son rôle centralisateur

Le BNC accompagne le développement du mouvement à l’international en fédérant ses partenaires étrangers autour de campagnes transnationales et en fixant le motus operandi de leurs campagnes nationales [1]. Le BNC détermine la stratégie globale : les cibles stratégiques[2], les actions prioritaires, les objectifs à court, moyen et long terme, les résultats attendus, etc. Il leur propose des kits complets de boycott[3] comprenant en vrac : la position officielle de B.D.S. sur le boycott, ses raisons et ses justifications, la liste des cibles israéliennes à boycotter, des idées d’actions, un argumentaire pour contredire les anti-B.D.S. (les « F.A.Q. »), un matériel militant (des lettres-type), etc.

L’illustration de cette extrême centralisation du mouvement peut être trouvée dans le boycott académique. Le PACBI demande aux universitaires et intellectuels européens et américains de boycotter les institutions académiques israéliennes et liste lui-même les principales cibles : les projets académiques parrainés par Israël, les discours y compris les débats tenus par des représentants de l’État d’Israël, les programmes d’échanges et les programmes d’études à l’étranger avec les universités israéliennes, les cérémonies de récompenses remises aux officiels de l’État d’Israël ou aux institutions israéliennes complices ou à leurs représentants, etc.

« Le mouvement BDS est un mouvement extrêmement centralisé au niveau international à partir de son centre palestinien. Il traduit une conception verticaliste de la solidarité. Les différences personnes ou organisations qui désirent boycotter l’Etat d’Israël sont sommées de respecter un règlement particulièrement rigoureux et détaillé qui reflète en réalité une plate-forme politique déterminée parmi les différentes positions qui existent au sein du mouvement national palestinien. Il faut remonter à la grande époque du Congrès mondial des partisans de la Paix en 1949, cette émanation de l’URSS portée par l’ensemble des partis communistes dans le monde, pour trouver quelque chose d’équivalent ».
Jean Vogel: «  Propos hérétiques sur le « Boycott, Désinvestissement, Sanction (BDS) envers Israël« , Politique, décembre 2018.

Echelon intermédiaire : Les partenaires étrangers "officiels"

A l’échelon intermédiaire se trouvent les partenaires étrangers répertoriés sur le site internet du collectif (www.bdsmovement.org). Ces organisations étrangères reconnues par le BNC jouent le rôle de courroie de transmission entre le sommet et la base du mouvement. Elles relayent tout d’abord dans leurs pays les actions transnationales de boycott commanditées par le collectif palestinien[4. Elles soutiennent ensuite l’action de BDS au niveau international (à l’occasion de forums sociaux, conférences internationales, pétitions, etc.)[5]. Elles organisent, enfin, des campagnes et des actions militantes dans leur pays en se conformant au programme déterminé par le B.N.C. puis en font remonter les résultats. Certains partenaires étrangers ont reçu l’insigne honneur de pouvoir officier sous la bannière de BDS (BDS France, BDS Autriche, BDS Suisse, etc.) tandis que d’autres sont simplement référencés comme des partenaires privilégiés.

Echelon inférieur: les supporters

Les organisations et associations nationales, régionales de même que les centaines de comités locaux de soutien qui participent activement aux campagnes de boycott constituent la couche inférieure du mouvement. Ce sont de simples revendeurs indépendants, c’est-à-dire des entités qui gravitent autour de la sphère BDS et en tirent un certain profit sans toutefois en faire officiellement partie. Elle est composée d’individus n’ayant aucun pouvoir de décision, au mieux un pouvoir de suggestion et dont l’action sur le terrain doit systématiquement être validée par la couche intermédiaire qui elle-même respecte les lignes de conduites édictées au sommet de l’organisation par le BNC.


[1] Pour une explication détaillée du mode opératoire des campagnes de boycott voir: "CERSP: "Le boycott économique d'Israël par BDS".

[2] Dans une interview, Omar Barghouti rappelle que « Les trois critères généraux recommandés par le BNC palestinien dans le choix des cibles stratégiques sont : primo, le degré de complicité – concentrer son attention sur les sociétés et produits qui sont le plus clairement et directement impliqués dans les violations des droits de l’homme par Israël et les plus aisés à expliquer à un large public. Secundo, la possibilité d’alliances entre mouvements : donner la priorité aux sociétés ou produits qui rendent possible la création de larges alliances de luttes conjointes. Par exemple, la campagne visant à faire cesser les contacts avec la société israélienne de l’eau, Mekorot, engage un large éventail de campagnes pour l’environnement et contre la privatisation. Et, tertio, le potentiel de succès : une campagne BDS devrait avoir une chance réaliste de succès, en sus d’accroître simplement la conscientisation, en étant par exemple à même de persuader une société ou institution internationale de cesser de soutenir une société israélienne ».

[3] Ces kits sont disponibles sur le site officiel de BDS sous les rubriques : « Academic boycott », « Cultural boycott » et « Economic boycott ».

[4] Il en va notamment ainsi des campagnes de boycott en vue d’exclure Israël des programmes internationaux comme le programme européen Law train, Horizon 2000 ou encore l’Accord d’Association EU-Israël, des campagnes de boycott économique dirigées contre des sociétés israéliennes comme SodaStream ou Ahava ou des campagnes de boycott économique dirigées contre des entreprises multinationales occidentales comme G4S, Caterpillar ou encore H.P.).

[5] Voir notamment sur le sujet : la missive signée par  358 organisations européennes de défense des droits de l’Homme, des églises, des syndicats et des partis politiques adressée à la Commission européenne pour dénoncer la tentative de criminalisation de BDS et marquer leur soutien au collectif palestinien ; La déclaration de la F.I.D.H. reconnaissant et réaffirmant le droit des personnes à participer pacifiquement et à appeler à des mesures de BDS pour protester contre les politiques d’occupation et de discrimination du gouvernement israélien.

Les membres de BDS Palestine

La branche palestinienne de BDS se compose de 3 grands acteurs : son leader emblématique, les 172 organisations et associations palestiniennes signataires de l'appel de 2005 ainsi que le comité central BNC.

a) Le leader emblématique

La plupart des médias occidentaux présentent Omar Barghouti, le porte-parole de BDS, comme étant le leader historique du collectif palestinien. On peut cependant s'interroger sur le bien-fondé d'une telle assertion. Le Council of National and Islamic Forces in Palestine (P.N.I.F.) étant l'organisation palestinienne dominante au sein du collectif, l'hypothèse la plus probable serait que le leader naturel de BDS ne soit autre que le chef de cette organisation, Marwan Barghouti, haut dirigeant du Fatah condamné à cinq fois la perpétuité et incarcéré en Israël et surnommé "le Mandela Palestinien" par ses supporters. (1)

b) Les 172 signataires

172 organisations et associations palestiniennes sont signataires de l'appel lancé le 9 juillet 2005 à la communauté internationale pour le boycott intégral d'Israël. Ces organisations et associations palestiniennes – partis politiques, syndicats, réseaux de réfugiés, comités populaires, associations religieuses, caritatives, etc. - se présentent comme les représentants des trois composantes majeures du peuple palestinien, à savoir les réfugiés en exil, les Palestiniens sous occupation dans les territoires cisjordaniens et gazaouis et les citoyens arabo-palestiniens vivant sur le territoire israélien.

c) Les 29 membres du comité central du BNC

A l'occasion de sa première conférence nationale de 2007 à Ramallah, le collectif palestinien a délégué à 29 de ses membres le soin d'administrer et de coordonner la Campagne Internationale de Boycott. Ces derniers sont regroupés au sein du Comité National Palestinien du B.D.S. (B.N.C.). Omar Barghouti co-fondateur de la campagne BDS y officie en qualité de porte-parole, Mahmoud Nawajaa en est le coordonnateur général et Salah Khawaja son secrétaire.

Les organisations palestiniennes les plus influentes au sein de ce comité central sont les suivantes:

  • Council of National and Islamic Forces in Palestine (P.N.I.F.) dont les leaders sont Marwan Barghouti cité plus haut et Mustafa Barghouti. Cette organisation regroupe 12 factions palestiniennes notamment l’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) mais également le Front populaire de Libération de la Palestine (F.P.L.P.), le Djihad Islamique et le Hamas.

  • Grassroots
    Palestinian Anti-Apartheid Wall Campaign -
    Stop the Wall

  • The
    International Solidarity Movement
    (ISM)

  • Occupied Palestine and Syrian Golan Heights Advocacy Initiative (OGAPI)

Certains membres du Comité National Palestinien du BDS (BNC) ont un lien direct ou indirect avec des organisations qui se trouvent sur la liste des organisations terroristes par l’Union Européenne et les États-Unis. Il s’agit par exemple de l’organisation Popular Resistance Comittees (PRC) liée au Hamas, Alkarama for Humain Right liée à Al-Qaida ou encore The Union of Health Workers Committees et the Union Agricultural Workers Committees qui sont liées au F.P.L.P. (2)


(1) voir notamment Cyrille Louis: "Israël: mille prisonniers palestiniens font la grève de la faim", Le Figaro, avril 2017. En 2017, Les autorités israéliennes ont annoncé qu’elles refuseraient l’entrée sur leur territoire à 7 personnalités françaises de gauche dont 4 députés de la France insoumise comme Clémentine Autain ou Danièle Obono. Motivation invoquée : leur volonté de rencontrer Marwan Barghouti et leur soutien au mouvement BDS.

(2) CERSP: "BDS est-il pacifiste?" mai 2019