Le « contrat social » illustré par le cas israélien
C’est une banalité de le dire mais dans une démocratie, les gouvernants ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Le régime a d’abord et avant tout été pensé comme un moyen de limiter le pouvoir du souverain. C’est le célèbre principe dégagé par Montesquieu : la meilleure protection contre l’abus du pouvoir est la division du pouvoir. L’action du gouvernement est donc limitée par des lois et des règlements, c’est-à-dire par l’Etat de droit. Ainsi, un chef de gouvernement qui annonce qu’il ne respectera pas les décisions de la cour suprême se place en dehors du cadre légal[1] et adopte un exercice non démocratique du pouvoir.
Par ailleurs, dans une démocratie dite « libérale », l’action gouvernementale est non seulement limitée par les lois et règlement mais est également encadrée par les valeurs et principes démocratiques, qui se situent au-dessus de toute la structure institutionnelle et qui sont à la base du ralliement des citoyens au régime. C’est le contrat social au sens des théories du contrat social telle que celle du Traité du gouvernement civil de John Locke. Aux Etats-Unis, ces valeurs et principes se retrouvent inscrites dans le préambule de la constitution. En Israël, ces libertés fondamentales sont solennellement affirmées dans la déclaration d’Indépendance. Le gouvernant ne peut pas les modifier sauf à détruire le pacte social entre l’Etat et ses citoyens.
La réforme judiciaire en Israël pose la question suivante : pourquoi la coalition gouvernementale veut-elle aller jusqu’au bout de cette réforme au risque de fracturer totalement la société israélienne et de menacer la survivance même de l’Etat d’Israël ?
La réponse à cette question est à rechercher du côté des cinq partis politiques qui la composent : quatre partis politiques (Parti sioniste religieux, Force juive, Shas et Judaïsme unifié de la Torah) ont comme projet politique le remplacement du régime démocratique basé sur les libertés fondamentales par un nouveau régime politique basé sur les valeurs religieuses. Quant au cinquième et dernier parti, le Likoud, il a depuis longtemps, sous la houlette de Benjamin Netanyahou, muté pour adopter tous les codes de l’illibéralisme.
Ces cinq partis qui composent la coalition gouvernementale ne cachent d’ailleurs pas leur intention. La modification du paysage institutionnel, via la mise hors-jeu de la cour suprême, a pour objet ultime d’intenter aux libertés fondamentales, c’est-à-dire au contrat social passé entre les citoyens et l’Etat. Telle serait d’ailleurs, selon l’actuel Ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives en 2022: la mise en place d’une nouveau régime politique où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[2]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville.
Et les opposants à la réforme ont très bien compris le message. Le début de rupture du pacte social est incarné par une situation totalement inédite dans l’histoire du pays où de milliers de réservistes refusent désormais de servir l’armée[3]. Un des deniers sondages indique que 28% des israéliens envisagent de quitter le pays[4].
En ayant pour projet politique de modifier le contrat social initial basé sur valeurs démocratiques pour les remplacer par un nouveau contrat social basé sur des valeurs religieuses, la coalition gouvernementale est donc bien sortie du cadre de la démocratie libérale. Ça tombe bien, elle n’en n’a que faire.
[1] Amir Tibon & Ben Samuels: Netanyahu Warns He Could Ignore Supreme Court if Reasonableness Clause Reinstated, Haaretz, Jul 27, 2023
[2] Yair Sheleg : “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.
[3] Another 10,000 IDF reservists announce they won’t serve anymore, Jerusalem Post, Jul 23, 2023.
[4] 28% of Israelis considering leaving the country amid judicial upheaval — poll, times of Israel, Time of Israel, Jul 23, 2023.
Boycott économique total ou partiel ? Que veut BDS?
Pourquoi BDS appelle-t-il au boycott économique total d’Israël et pas uniquement des produits fabriqués dans les colonies implantées en Cisjordanie occupée ? La réponse à cette question doit être recherchée du côté de l’objectif du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte (1).
L'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies
L’Union européenne a pris la décision en 2015 d’étiqueter les produits originaires des colonies israéliennes implantées en Cisjordanie occupée au grand dam du gouvernement israélien (2). Cet étiquetage est un signal politique clair envoyé par les pays européens à l’Etat hébreu, une ligne rouge : les colonies sont jugées illégales au regard du droit international. Partant, les produits qui y sont fabriqués ne sont pas des produits fabriqués en Israël et ne peuvent pas bénéficier des accords de libre-échanges et des tarifs douaniers préférentiels conclus entre Israël et l’Union Européenne.
L’idée selon laquelle la communauté internationale doit faire pression sur Israël pour conclure un accord de paix avant qu’il ne soit trop tard peut paraître séduisante pour certains partisans d’une solution à deux Etats. Cette pression aurait pour objectif de corriger le rapport de force en faveur de la partie palestinienne la plus faible en forçant Israël à accepter un compromis historique équilibré qui satisfasse in fine les deux parties. Dans le cadre de cet horizon politique, l'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies pourrait se révéler un moyen d’action efficace, n’en déplaise aux Israéliens.
Le boycott économique total
Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, le collectif palestinien BDS n’appelle pas au seul boycott des produits fabriqués par des entreprises israéliennes dans des colonies implantées en Cisjordanie occupée mais demande aux consommateurs occidentaux de boycotter toutes les entreprises israéliennes et toutes les entreprises occidentales qui participent activement à l’économie israélienne (3).
Cet appel au boycott intégral doit être mis en perspective avec les objectifs du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte. BDS est un mouvement qui se revendique radicalement antisioniste. Il considère que le caractère juif de l’Etat d’Israël doit être abandonné, de gré ou de force, par les Israéliens, car il empêche l’autodétermination du peuple Palestinien. La résolution du conflit israélo-palestinien passe donc de facto par une solution à un seul Etat et non pas par une solution à deux Etats. Dans le cadre de cet horizon politique où la paix se fait sans Israël, le boycott intégral prend tout son sens puisqu’il vise à étrangler économiquement l’Etat hébreu jusqu’à ce qu’il capitule et abandonne son caractère juif.
Le but de BDS n’est donc de
corriger le rapport de force pour forcer Israël à un compromis historique avec
les Palestiniens. Son objectif est d’engager une épreuve de force avec Israël en vue de le contraindre à abandonner
ce qui constitue le fondement même de son existence, son caractère juif.
Le choix du boycott : pacifique ou belliqueux
En France, de nombreux corps intermédiaires, partis politiques (EELV, LFI, NPA), syndicats (CGT), ONG (Oxfam, Attac), associations caritatives, etc., de mêmes que de nombreuses personnalités politiques ou de la société du spectacle ont apporté ces dernières années leur soutien aux campagnes de boycott lancées par le collectif palestinien BDS.
Mais comme nous l’avons vu, le boycott économique peut être un moyen pacifique pour arriver à la paix avec Israël ou un moyen belliqueux pour arriver à la paix mais sans Israël. Aussi, il serait bon que les supporteurs de BDS lèvent rapidement toute ambiguïté sur les fondements de leur soutien. Si l’objectif de leur boycott vise à rétablir un rapport de force plus favorable pour les Palestiniens dans le cadre de la relance d’un processus de paix visant à la création de deux Etats, alors ils doivent impérativement s’écarter du boycott préconisé par BDS, voire même le dénoncer. Si par contre leur soutien au boycott belliqueux prôné par BDS a bien pour objectif de créer une épreuve de force en vue d’obtenir la reddition forcée des Israéliens dans le cadre d’une solution imposée à un seul Etat où le sort des 7.000.000 de Juifs n’est pas encore fixé, alors ils ont frappé à la bonne porte.
(1) S. Henry: "Quelles sont les revendications précises de BDS?", CERSP, février 2019
(2) P. Smolar: “L’étiquetage par l’UE des produits fabriqués dans les colonies provoque la fureur d’Israël », Le monde, Novembre 2015.
[4]: Laurent Joffrin: "BDS: les dessous d'un boycott", Libération, août 2015; Martine Gozlan : "Ce que cache le boycott d'Israël", Marianne, mai 2016.
Mandela plus chic que Y. Arafat ?
La révélation d’une filiation cachée n’est jamais un moment agréable pour un personnage public. On a encore en mémoire la découverte de Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand et du scandale d’Etat qui s’ensuivit ou encore de l’exhumation de l’acteur Yves Montand pour un test ADN qui se révéla négatif. Plus près de nous, l’ex-roi des belges Albert II tremble à l’idée même de devoir subir un test de paternité. La divulgation d’un adultère peut définitivement ternir l’image que l’on a construite pendant de longues années auprès de ses admirateurs.
Une image positive par la grâce de N. Mandela
Il en va de même pour le mouvement BDS. Le collectif palestinien martèle à longueur de tweets et de messages qu’il existe un lien historique entre son combat et le mouvement de lutte contre la ségrégation raciale d’Afrique du Sud. En plaçant ses actions militantes dans le sillon de celles réalisées par l’ANC de Nelson Mandela qui bénéficie d’une aura mondiale, le collectif palestinien cultive une image de mouvement pacifiste et non-violent auprès de l’opinion publique occidentale qu’il entend rallier à sa cause. Non sans un certain succès.
Une filiation non avouée
Il existe pourtant une autre filiation que le collectif palestinien passe curieusement sous silence. La fin de l’occupation et de la colonisation de tous les territoires arabes actuellement occupés, y compris donc Tel-Aviv et Haïfa couplée au retour sans conditions de tous les réfugiés palestiniens réclamées par BDS sont en tout point identiques aux revendications de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) avant que son leader emblématique Yasser Arafat ne décide de rendre la Charte de la branche principale du mouvement national palestinien historique caduque en 1988. Rappelons que c’est ce premier geste d’ouverture du côté palestinien, couplé à une forte pression américaine, qui a finalement décidé les Israéliens à s’asseoir à la table des négociations. Depuis, l’OLP a été intégrée au sein de l’Autorité Palestinienne et adhère, au moins officiellement, à la résolution du conflit par la création de deux Etats.
Pour BDS en revanche, le partage de la Palestine de 1947 et la création de l’Etat d’Israël sont nuls et non avenus quel que soit le temps écoulé depuis cette date, étant donné qu’ils ont été opérés contre la volonté du peuple palestinien. Ce positionnement est donc clairement un retour en arrière. La Charte de BDS n’est qu’une resucée 2.0. de la Charte de l’OLP et ce, tant au niveau de son idéologie dominante (lutte anticoloniale) que de son analyse du conflit (une seule partie est légitime, l’autre ne l’est pas et doit disparaître) et, partant, de la solution pour y mettre un terme à savoir la disparition de l’Etat d’Israël et son remplacement par un Etat Palestinien sur l’ensemble du territoire avec une majorité arabo-palestinienne et, le cas échéant, une minorité judéo-palestinienne.
Une légère différence quand même
Une légère différence programmatique existe cependant entre les deux chartes et elle concerne le sort réservé à la minorité de confession juive (aujourd’hui environ 7,000,000 de personnes) dans le nouvel Etat de Palestine majoritairement musulman. L’OLP annonçait clairement la couleur en prévoyant l’expulsion par la force de tous les Juifs à l’exception de ceux qui étaient présents avant la déclaration Balfour (1917). BDS n’a, lui, pas encore tranché. Comme le dit son leader Omar Bargouthi, la forme étatique que les peuples de la région établiront dépendra de leur volonté et de l’évolution de leurs relations. Il y a donc progrès !
N. Mandela assurément plus chic que Y. Arafat
BDS n’annonce jamais à ses sympathisants occidentaux qu’il s’inscrit dans la filiation historique de l’OLP dans sa ligne la plus dure. Il préfère associer son image à celle positive de Nelson Mandela et l’A.N.C. qui préconisaient une révolution non violente et une coexistence pacifique entre Blancs et Noirs plutôt qu’à Yasser Arafat et l’OLP qui prônaient la lutte armée, la disparition de l’Etat d’Israël et l’expulsion de tous les Juifs par la violence comme solution au conflit. Mais peut-on leur donner tort ? Nelson Mandela, c’est quand même plus chic que Yasser Arafat.
Une image écornée?
En affirmant sa filiation sud-africaine plutôt que sa filiation avec l’OLP, le collectif palestinien entend brouiller le message qu’il adresse à l’opinion publique occidentale sur ses objectifs politiques réels (la fin du projet sioniste et la disparition de facto de l’Etat d’Israël). Il existe en effet une différence majeure, totalement passée sous silence dans tous les messages et tweets de BDS, entre la lutte menée en Afrique du Sud contre le régime politique d’apartheid et la lutte menée contre les sionistes. L’Etat sud-africain n’a pas disparu avec la capitulation des Afrikaners (pas plus que l’Etat espagnol n’a disparu avec la fin du régime franquiste ou l’Etat français après la disparition du régime vichyste). Dans le cas du combat contre le régime sioniste, la victoire passe également par la disparition de l’Etat d’Israël.
De nombreux sympathisants occidentaux soutiennent aujourd’hui le mouvement BDS en pensant à Mandela. Mais sont-ils au courant des véritables intentions du collectif palestinien et de sa filiation cachée ? Est-ce réellement un mouvement pacifiste et non-violent comme ils le pensent ?
S’ils pouvaient se poser la question ce serait déjà un bon début.