Les « accords d’Oslo » étaient viciés !
Les « accords de paix » d'Oslo, symbolisés par la célèbre poignée de main entre Itzhak Rabin et Yasser Arafat le 13 septembre 1993 dans les jardins de la Maison-Blanche visaient à résoudre le conflit israélo-palestinien en créant deux États coexistant en paix et en sécurité.
Avec le temps, ces fameux accords ont perdu tout leur sens et sont en état de mort cérébrale depuis plus de 20 ans. Le massacre perpétré par le Hamas contre les Juifs le 7 octobre 2023 a cependant relancé le débat sur une solution durable au conflit. La communauté internationale persiste à soutenir cette « solution à deux États » comme la voie politique incontournable.
Les vices cachés des accords d’Oslo
Les accords d’Oslo ont été signés dans un contexte historique caractérisé par la chute du mur de Berlin en 1989 et l’émergence d’un monde unipolaire dirigé par les Etats-Unis. Dans une époque marquée par la victoire idéologique de la démocratie libérale sur les autres idéologies politiques (la fin de l’histoire selon la célèbre formule de Francis Fukuyama), l'accent est mis sur la promotion des valeurs occidentales par de vastes accords économiques de libre-échange avec le reste du monde. Bref, la démocratie libérale comme horizon politique indépassable. Shimon Peres rêve de voir un Proche-Orient pacifié et prospère, inspiré par le modèle européen.
Malgré leurs grandes ambitions, les accords d’Oslo étaient condamnés à échouer dès le début en raison de vices cachés. L'échec résulte principalement de leur philosophie libérale qui présumait que les deux États seraient démocratiques et coexisteraient pacifiquement, révélant ainsi un ethnocentrisme occidental.
La première erreur : deux états démocratiques
La première erreur des Occidentaux fut de croire que les deux peuples aspiraient à vivre, comme eux, dans une démocratie libérale.
Du côté israélien
Du côté israélien, ce postulat de départ avait un certain sens. L'État d'Israël s'est construit sur le modèle des démocraties occidentales : séparation des pouvoirs, élections libres, égalité citoyenne, etc. Ces principes libéraux sont proclamés dans la Déclaration d'Indépendance de 1948 (« L’État d’Israël assurera une égalité complète [...] à tous ses habitants sans distinction de religion et de race ou de sexe ») et forment le pacte social fondateur de l’Etat hébreu.
La démocratie israélienne, imparfaite comme toutes les autres, a ainsi fonctionné tant bien que mal jusqu'au coup d'État judiciaire perpétré par la coalition gouvernementale élue en 2022. Au lendemain de ces funestes élections, une prise de conscience soudaine a eu lieu parmi la moitié des Israéliens : l'autre moitié voulait remettre en cause les valeurs libérales et, par conséquent, le pacte social fondateur de l'État hébreu.
L’avenir d’Israël dans le camp des démocraties occidentales est ainsi clairement posé. La partie se jouera ces prochaines années. Si les forces démocratiques gagnent, elles devront alors terminer ce que les « pères fondateurs » avaient commencé, à savoir graver définitivement dans le marbre (via une véritable Constitution) les principes libéraux qui fondent le pacte social. Si les forces messianiques l'emportent, Israël ressemblera en revanche en tout point aux pays voisins.
Du côté palestinien
L'idée des Occidentaux d'une Palestine démocratique était par contre irréaliste dès le départ. Bien que les « pères fondateurs », comme Yasser Arafat, aient inscrit leur lutte nationaliste dans les idéaux laïcs du tiers-mondisme, le leadership palestinien s’est depuis longtemps détourné de cette voie. La lutte nationale palestinienne s’est construite en opposition aux valeurs occidentales. L'instauration d'une démocratie libérale en Palestine n'a jamais été envisagée. Les Palestiniens, ainsi que d’autres peuples de la région, aspirent souvent plus à la religion qu’à la démocratie libérale, une tendance confirmée lors des « printemps arabes ».
Deuxième erreur : la paix
La deuxième erreur coupable des Occidentaux a été de croire que l'opposé de la guerre devait absolument être la paix. Or, les divergences entre les parties étaient trop considérables : frontières, réfugiés, Jérusalem, etc. Les Occidentaux auraient mieux fait d'adopter la perspective de Raymond Aron et de chercher une situation de "non-guerre" plutôt que de s'obstiner sur une paix totale.
Et l’avenir ?
Le dernier vestige des accords d’Oslo, le dernier pilier encore debout, demeure l'accord de sécurité entre l'Autorité Palestinienne et Israël. Le territoire est divisé en trois zones : la zone A sous contrôle palestinien, la zone B à sécurité mixte, et la zone C sous contrôle israélien. La zone A s'est progressivement réduite au strict minimum.
Et c’est en s’appuyant sur ce dernier pilier qu’il va falloir reconstruire un avenir sans guerre, ce qui suppose la réunion de 4 conditions :
- Un Israël définitivement ancré dans le camp occidental, le seul susceptible de faire taire les plus radicaux de son camp et aboutir ensuite à un accord avec les Palestiniens. Un Israël messianique entraînerait, lui, une guerre civile et un conflit perpétuel avec les Palestiniens.
- Une expansion des zones A, qui sont les plus densément peuplées de Cisjordanie et de Gaza où la sécurité serait administrée par la l’Autorité Palestinienne. Ces nouvelles zones A pourraient même englober les villages arabes israéliens actuels. En contrepartie, les colonies de Cisjordanie demeureraient, elles, sous contrôle sécuritaire israélien.
- Renommer ces nouvelles zones A sous le nom de « Palestine ». Ce ne sera pas un acte motivé par un amour particulier pour les Palestiniens de la part des démocrates israéliens. Ils prendront cette décision par souci pour l'avenir de leurs propres enfants. Et de toute manière, aucun israélien n’avait l’intention d’aller faire ses courses à Gaza, Jenine ou Ramallah dans un futur proche.
- La signature, non pas d’un « accord de paix » mais uniquement d’un accord sécuritaire entre Israël et une Autorité Palestinienne, à charge pour cette dernière de combattre les factions islamistes extrémistes dans les zones A sous son autorité. Cela signifierait un régime autoritaire (c’est-à-dire non-démocratique) en Palestine, permettant aux dirigeants palestiniens de s'enrichir impunément comme contrepartie. Comme c’est le cas en Algérie ou en Egypte. En somme, une Palestine construite à l’image des autres pays de la région. Ni plus, ni moins.
Tel est le seul horizon politique indépassable au Proche-Orient.
Pourquoi Gaza est-il si important pour LFI ?
Pourquoi un parti comme La France Insoumise (LFI) a-t-il fait de la guerre à Gaza le fer de lance de sa campagne électorale pour les européennes de 2024 ? Le débat est vif. Pour ses détracteurs, la réponse est claire : une obsession maladive d'Israël, révélatrice d'un antisémitisme déguisé. Ses partisans, quant à eux, défendent bec et ongles leur droit à la critique d’Israël, affirmant combattre toutes les formes de racisme, y compris l'antisémitisme.
Pour comprendre les motivations sous-jacentes qui ont incité LFI à placer cette thématique au cœur de sa campagne, il est essentiel de considérer le rôle singulier qu'Israël et les communautés juives de la diaspora tiennent dans le discours de la gauche altermondialiste, puis d'examiner comment cette question est exploitée dans une stratégie électorale assumée.
a) La position singulière occupée par Israël
Les organisations issues de la gauche altermondialiste réduisent généralement le sionisme à une entreprise coloniale criminelle et considèrent Israël comme un Etat illégitime. Ils englobent ainsi leur lutte contre la présence juive au Proche-Orient dans un mouvement plus vaste de lutte contre l’impérialisme occidental. Poussé par une idéologie antisioniste exacerbée, certains développent même une obsession maladive pour Israël, convaincus que son anéantissement est la clé de voûte d'un monde meilleur.
b) Le rôle ambigü des communautés juives de Diaspora
Historiquement, les communautés juives de la diaspora ne sont pas une cible électorale choyée par gauche altermondialiste, que du contraire. Influencée par certaines lectures marxistes, cette mouvance a tendance à percevoir les communautés juives comme faisant partie des élites dominantes. Seuls les individus juifs ayant fait sécession avec leur communauté sont dignes d’éloges.
Sous-jacent à ce rapport ambivalent sur les communautés juives se cache un antisémitisme latent, difficilement avouable mais néanmoins présent. Les stéréotypes antisémites (Juif/argent, Juif/pouvoir, Juif/Média, etc.) ne sont pas véhiculés que par la seule extrême-droite. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'histoire de la gauche est marquée par des courants de pensée teintés d'antisémitisme, même si ceux-ci sont souvent refoulés.
Les clefs de la victoire : le vote des personnes racisées
Les dernières études sur l’électorat de LFI confirment qu’il est assez vaste et plus disparate qu’on ne le pense. Cette base électorale est néanmoins insuffisante à ce jour pour gagner une élection. Engranger quelques centaines de milliers de voix supplémentaires lui permettrait, selon les stratèges du parti, d’exploser son plafond de verre et de présenter un candidat au second tour de l’élection présidentielle.
Pour aller chercher ces voix manquantes, LFI a fait le choix de se tourner vers les abstentionnistes qui représentent entre 30% et 60% du corps électoral selon l’élection. Et, à l’intérieur de ce groupe protéiforme, spécifiquement, les personnes racisées.
Au grand dam du député François Ruffin qui aurait préféré récupérer l’électorat populaire des zones périurbaines et qui a finalement marqué sa rupture avec LFI.
Le thème choisi pour séduire sa cible électorale : le "génocide à Gaza"
LFI a dû trouver un thème suffisamment porteur pour mobiliser son nouvel électorat. Et le sujet choisi ne fût pas un des thèmes habituellement associés à la gauche tels que la fiscalité des hauts revenus, la justice sociale ou les problématiques écologiques, mais le « génocide à Gaza ».
Il est intéressant de noter que le choix porté sur cette thématique n'est pas propre à La France Insoumise mais est celui de plusieurs mouvements de la gauche radicale dans d'autres pays. C'est le cas notamment de l'aile dite progressite du Parti Démocrate aux États-Unis ainsi que du Parti du Travail de Belgique (PTB). Le PTB a ainsi pu consolider en 2024 sa position en tant que troisième force politique dans la région bruxelloise en sensibilisant les communautés marocaines et turques de la capitale belge sur la situation à Gaza.
En traitant ce sujet avec une intensité extrême, LFI a fait le choix assumé de s'adresser directement aux émotions des minorités arabo-musulmanes. Cette sensibilité particulière n’a cependant strictement rien à voir avec le sort malheureux des Palestiniens. Les études les plus récentes confirment que les préjugés antijuifs demeurent encore fortement ancrés particulièrement au sein de la population musulmane. A travers le conflit israélo-palestinien, c’est donc bien le rapport conflictuel des minorités racisées aux Juifs qui est posé.
La remise en cause de la présence des Juifs en "Palestine occupée" et de la place privilégiée des communautés juives de diaspora sont les deux piliers sur lesquels le parti va s’appuyer pour mobiliser son nouvel électorat.
a) La place subordonnée des Juifs en terre musulmane
LFI reprend tout d’abord ses classiques en dénonçant le sionisme. Les excès de langage où Israël est décrit ad nauseam comme un « état génocidaire et tueur d’enfants » envoie le premier message : la présence juive en Palestine est illégitime et constitue, par essence, un crime contre l’Humanité.
Ce premier message trouve un écho favorable auprès de sa cible électorale. Dans la tradition musulmane, les Juifs sont considérés comme des dhimmis, c'est-à-dire des protégés, mais leur statut est subordonné. Ce qui entre en contradiction avec le concept d’égalité entre citoyens, hérité des Lumières, fondamentalement opposé à la hiérarchie sociale inhérente à tout dogme religieux.
Face à ce dilemme, deux options se présentent pour les minorités racisées : soit accepter la présence juive en Palestine, ce qui implique de remettre en question les fondements religieux et d'embrasser une vision sécularisée de la société ; soit maintenir le statu quo, en rejetant la présence juive au nom de la préservation de l'identité religieuse et communautaire. Cette dernière option, qui repose sur la peur de la désintégration sociale, constitue le terrain fertile permettant aux préjugés antijuifs de continuer à prospérer.
b) La position privilégiée des Juifs en France
LFI inonde ensuite les réseaux sociaux en reprenant à son compte des thèses qui dénoncent le pouvoir supposé des communautés juives (incarné par la figure maléfique du CRIF) ou la double allégeance, thèses qui s'inscrivent dans une tradition d'accusations antisémites.
Ces messages résonnent tout particulièrement au sein des communautés arabo-musulmanes vivant en France, qui peuvent éprouver des ressentiments face à ce qu'elles perçoivent comme des privilèges accordés à la communauté juive. Les difficultés d'intégration exacerbent ces tensions et facilitent la recherche de boucs émissaires. La communauté juive est alors vue comme un obstacle à l'émancipation des autres groupes.
Le rôle essentiel de Rima Hassan
En instrumentalisant le conflit à Gaza, La France Insoumise avait pour ambition d’attiser les tensions entre les différentes minorités. Avec l’effet escompté puisque les actes antisémites ont explosé. Désormais de nombreux Juifs changent leur patronyme lorsqu’ils commandent un taxi.
Pourtant, les partis de la gauche radicale comme LFI ne sont pas des partis propalestiniens. Le sort des Palestiniens, comme au demeurant le sort de tous les autres malheureux de la planète, lui est totalement indifférent. La source de son antisionisme ne se trouve pas dans le conflit israélo-palestinien lui-même mais dans sa contestation des démocraties libérales en tant que régime politique. Le combat contre Israël et les sionistes dépasse la question très légitime du devenir du peuple palestinien. En alimentant sans cesse le ressenti des personnes racisées à l’égard des communautés juives de France, LFI ne cherche en réalité que l’allumette pour mettre le feu à la contestation populaire devant mener au changement de régime.
Dans sa quête d’une VIème République, Jean-Luc Mélenchon se plaît désormais à exposer Rima Hassan comme un trophée à chacune de ses sorties, clin d’œil à son nouvel électorat racisé.
Mais Rima Hassan n’est pas la nouvelle égérie, à gauche, de la cause palestinienne. Elle est juste l’idiote utile du parti.
La France Insoumise (LFI) est-elle antisémite ?
Le débat fait rage pour déterminer si LFI est un parti antisioniste ou antisémite. Pour ses pourfendeurs, l’obsession d’Israël au détriment de toutes les autres causes dans le monde est la preuve que son antisionisme n’est que la face cachée de son antisémitisme. En revanche, pour ses partisans, le parti est radicalement antisioniste mais se défend de tout antisémitisme. Mathilde Panot rappelle à cet effet qu’aucun des dirigeants de LFI n’a jamais été condamné pour des propos ou des actes antisémites (BFM TV, 21/06/2024). Ce faux procès en antisémitisme serait en réalité une cabale lancée par les officines sionistes contre LFI pour faire taire toute critique à l’encontre de l’Etat d’Israël.
La réponse est peut-être plus complexe que la position des uns ou des autres ne le laisse entendre.
Des « punchlines » relayant des poncifs et clichés antisémites.
LFI, dans sa communication envers son public, flirte constamment avec des poncifs et clichés antisémites. On se rappelle bien entendu du fameux dérapage assumé de Jean-Luc Mélenchon sur le « lobby juif » (« Retraite à points, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogants des communautaristes du CRIF : c’est non »). Ou du commentaire acéré du député Aymeric Caron, ramenant Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée Nationale à sa judéité supposée et ainsi au vieux trope antisémite de la double allégeance (« le soutien inconditionnel réélu au perchoir. La honte »).
La longue liste des sorties polémiques est désormais suffisamment documentée pour en décrypter l’intention. Elles ont un sens bien précis et sont très bien comprises par le public visé. Tout en restant juste en-deçà d’un propos injurieux qui tomberait sous le coup de la loi.
Bref, l’art de la communication politique.
La position radicalement antisioniste du parti
LFI se définit comme un parti radicalement antisioniste. Pour le dire assez simplement, elle considère le projet sioniste comme une entreprise criminelle coloniale et Israël comme un pays illégitime. La présence d’un Etat Juif sur toute ou partie de la Palestine équivaut à un crime d’apartheid, c’est-à-dire un crime contre l’humanité.
Remettre en question l'existence même de l'Etat d'Israël est-il antisémite ? Cela tombe en tout cas dans la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA approuvée le 3 décembre 2019 par l'Assemblée nationale et le 5 octobre 2021 par le Sénat français.
Les communautés juives rendues seules responsables de l’antisémitisme
LFI affirme que l’antisémitisme est devenu résiduel en France. Le racisme systémique serait ajourd'hui dirigé non plus envers les Juifs mais envers les personnes racisées.
Elle admet en revanche une corrélation entre les actes malveillants à l’encontre des communautés juives de France et le conflit au Moyen-Orient. Mais, dit-elle, c’est le soutien des communautés juives de France à Israël qui expliquerait la flambée des actes antijuifs en France. Les Juifs de France sont attaqués, non pas en tant que Juifs, mais en tant que complices d’un Etat criminel.
Et c’est là la véritable ambigüité de LFI sur l’antisémitisme : en décidant d’axer sa dernière campagne électorale européenne de 2024 sur le thème exclusif du « génocide à Gaza », elle savait pertinemment bien que cela allait exacerber le ressentiment antijuif du public racisé qu’elle visait. Mais face à la flambée des actes antisémites, elle se défend ensuite de tout antisémitisme en rejetant la faute sur les communautés juives elles-mêmes.
LFI est issue d’une famille politique qui a des relents antisémites
La position acèrbe de LFI sur les communautés juives n'est pas le fruit du hasard. Seuls les individus juifs ayant fait sécession avec leur communauté sont dignes d’éloges. Dans l’idéologie primaire marxiste, les communautés juives, c’est-à-dire les Juifs en tant que groupe social, sont du côté du pouvoir dominant. Le mythe du Juif banquier n’est pas l’apanage de la seule extrême-droite. Il faut pouvoir relire « La Question juive » de Marx pour s’en convaincre.
Il y a aussi une histoire de l’antisémitisme à gauche.
LFI est dans une idéologie qui prône la révolution par la violence
Fidèle à la conception léniniste, LFI se voit comme l’élite révolutionnaire, le parti qui va guider le peuple vers la révolution. Pour cela, elle doit exciter le peuple pour que celui-ci prenne conscience de sa condition, se révolte et renverse le pouvoir par la force. Que les communautés juives soient les premières victimes de la révolte populaire contre le pouvoir dominant est totalement en phase avec l’idéologie dominante.
Le processus de déshumanisation des Juifs est de nouveau en marche. Les Juifs d’Israël sont aujourd'hui traités par LFI comme des génocidaires, donc des nazis.
Et, pour LFI, cette réthorique vaut également pour les citoyens français de confession juive qui manifestent leur soutien au droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Ceux-là sont les complices d’un Etat génocidaire. Coupables, jamais victimes. C’est la signification de la petite expression que l’on entend systématiquement dans la bouche des partisans de LFI après chaque attentat contre un Juif en France ou dans le monde. Le fameux « Oui, mais ».
En cela LFI est bien un parti antisémite.
Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe?
L’Europe connait une montée inquiétante de la haine antijuive. Cette explosion de discours antisémites se manifeste non seulement dans la rue, à travers des actes de violence physique et verbale, mais aussi sur les réseaux sociaux, où les dérapages haineux se multiplient.
Les communautés juives européennes se retrouvent une nouvelle fois prises en étau, confrontées à une hostilité croissante provenant à la fois de l'extrême droite et de l'extrême gauche. Cette convergence d'attaques antisémites, qui gangrènent la société civile et politique représente une menace grave qu'il est impératif de prendre au sérieux.
La peur s'installe dans les communautés juives face à la montée de l'antisémitisme
La multiplication des actes antisémites ces derniers mois a créé un climat de peur et d'intimidation palpable au sein des communautés juives. En témoigne l'étude commanditée en 2024 par l'agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) révélant que l'antisémitisme fait désormais partie de la vie quotidienne de pratiquement tous les sondés. Cette situation a conduit de nombreuses familles à se poser une question qu'elles pensaient ne plus jamais devoir envisager : celle d'un nouvel exode.
Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe tant qu’il est encore temps ? Si oui, pour aller où ?
La réponse à ces questions peut être trouvée dans l’enchaînement des événements ayant entrainé la détérioration de la situation des Juifs en Europe dans les années trente. Cette époque, comme aujourd’hui, fût marquée par une forte explosion des actes antisémites, une cristallisation politique autour de la « question juive » et un processus de déshumanisation des Juifs qui aboutit, comme on le sait, à l'exclusion des Juifs de la Cité, puis de la vie même. Quel fût le point de bascule qui aurait dû inciter les Juifd au départ? Ce moment-charnière est la promulgation par le pouvoir politique de lois antijuives mettant définitivement les Juifs au ban de la société. Le piège se referme alors définitivement. A partir de là, il est trop tard pour partir.
Pour le reformuler autrement, c’est l’adoption de mesures visant à exclure les seuls Juifs de la société qui devrait constituer, pour les communautés juives européennes contemporaines, le signal de leur départ. Pour ne pas voir l’histoire se répéter.
Le signal de départ?
Or, il se fait que ces mesures antijuives ont commencé à faire leur réapparition en Europe : boycott des universitaires et chercheurs israéliens de presque toutes les universités européennes, refus d’organiser un match de football avec l’équipe nationale israélienne en Belgique, interdiction pour les entreprises commerciales israéliennes de participer à une foire commerciale en France, déprogrammation d’artistes israéliens de festivals de musique ou de culture, etc.
Faut-il s’inquiéter de toutes ces mesures qui additionnées font d’Israël le Juif des Nations ? La question est posée.
Certains répliqueront que les Juifs d’Europe ne sont pas visés par ces mesures de rétorsion et que seuls les Juifs vivant en Israël le sont. Mais c’est exactement le discours que les Juifs de France tenaient à l’encontre des Juifs immigrés (Ostjuden) dans les années 30. Avant que l’histoire ne les rattrape tous. L’antisémitisme ne connait pas de frontières.
D’autres jaugerons que c’est Israël qui est le problème et que sa disparition de la surface de la planète est la solution pour mettre un terme à l’antisémitisme en Europe. Ceux-là ne connaissent pas l’histoire. La haine des Juifs n’a pas attendu la création de l’Etat d’Israël pour prospérer. Et puis, une porte de sortie, c’est exactement ce qui a manqué aux Juifs d’Europe à la fin des années trente.
Jusqu’ici tout va bien.
Le « contrat social » illustré par le cas israélien
C’est une banalité de le dire mais dans une démocratie, les gouvernants ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Le régime a d’abord et avant tout été pensé comme un moyen de limiter le pouvoir du souverain. C’est le célèbre principe dégagé par Montesquieu : la meilleure protection contre l’abus du pouvoir est la division du pouvoir. L’action du gouvernement est donc limitée par des lois et des règlements, c’est-à-dire par l’Etat de droit. Ainsi, un chef de gouvernement qui annonce qu’il ne respectera pas les décisions de la cour suprême se place en dehors du cadre légal[1] et adopte un exercice non démocratique du pouvoir.
Par ailleurs, dans une démocratie dite « libérale », l’action gouvernementale est non seulement limitée par les lois et règlement mais est également encadrée par les valeurs et principes démocratiques, qui se situent au-dessus de toute la structure institutionnelle et qui sont à la base du ralliement des citoyens au régime. C’est le contrat social au sens des théories du contrat social telle que celle du Traité du gouvernement civil de John Locke. Aux Etats-Unis, ces valeurs et principes se retrouvent inscrites dans le préambule de la constitution. En Israël, ces libertés fondamentales sont solennellement affirmées dans la déclaration d’Indépendance. Le gouvernant ne peut pas les modifier sauf à détruire le pacte social entre l’Etat et ses citoyens.
La réforme judiciaire en Israël pose la question suivante : pourquoi la coalition gouvernementale veut-elle aller jusqu’au bout de cette réforme au risque de fracturer totalement la société israélienne et de menacer la survivance même de l’Etat d’Israël ?
La réponse à cette question est à rechercher du côté des cinq partis politiques qui la composent : quatre partis politiques (Parti sioniste religieux, Force juive, Shas et Judaïsme unifié de la Torah) ont comme projet politique le remplacement du régime démocratique basé sur les libertés fondamentales par un nouveau régime politique basé sur les valeurs religieuses. Quant au cinquième et dernier parti, le Likoud, il a depuis longtemps, sous la houlette de Benjamin Netanyahou, muté pour adopter tous les codes de l’illibéralisme.
Ces cinq partis qui composent la coalition gouvernementale ne cachent d’ailleurs pas leur intention. La modification du paysage institutionnel, via la mise hors-jeu de la cour suprême, a pour objet ultime d’intenter aux libertés fondamentales, c’est-à-dire au contrat social passé entre les citoyens et l’Etat. Telle serait d’ailleurs, selon l’actuel Ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives en 2022: la mise en place d’une nouveau régime politique où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[2]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville.
Et les opposants à la réforme ont très bien compris le message. Le début de rupture du pacte social est incarné par une situation totalement inédite dans l’histoire du pays où de milliers de réservistes refusent désormais de servir l’armée[3]. Un des deniers sondages indique que 28% des israéliens envisagent de quitter le pays[4].
En ayant pour projet politique de modifier le contrat social initial basé sur valeurs démocratiques pour les remplacer par un nouveau contrat social basé sur des valeurs religieuses, la coalition gouvernementale est donc bien sortie du cadre de la démocratie libérale. Ça tombe bien, elle n’en n’a que faire.
[1] Amir Tibon & Ben Samuels: Netanyahu Warns He Could Ignore Supreme Court if Reasonableness Clause Reinstated, Haaretz, Jul 27, 2023
[2] Yair Sheleg : “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.
[3] Another 10,000 IDF reservists announce they won’t serve anymore, Jerusalem Post, Jul 23, 2023.
[4] 28% of Israelis considering leaving the country amid judicial upheaval — poll, times of Israel, Time of Israel, Jul 23, 2023.
La « règle de la majorité » illustrée par le cas israélien
La réforme judiciaire qui fracture la société israélienne présente l’intérêt de remettre la démocratie au centre des débats. Chaque camp tente de se réapproprier le mot lui permettant subséquemment de jeter l’anathème sur son adversaire. Ainsi, les membres de la coalition gouvernementale proclament qu’ils ont été élus démocratiquement lors des élections législatives de 2022 et qu’ils ont la légitimité nécessaire pour engager la réforme puisqu’ils disposent d’une majorité de 64 députés sur 120 à la Knesset (le parlement). Les manifestations des opposants à la réforme, le blocage des autoroutes, les grèves, les menaces des réservistes de ne plus servir l’armée, etc. ne seraient qu’une tentative éhontée des partis de l’opposition d’aller à l’encontre de la volonté du peuple exprimée par les urnes.
La coalition gouvernementale a raison de rappeler que la règle de la majorité est une règle essentielle dans une démocratie. Encore faut-il savoir de quelle majorité on parle. Un gouvernement aux affaires sait qu’une partie de la population n’a pas voté pour son programme. Pour que ses décisions puissent être acceptées par la grande majorité de la population, il va devoir trouver un difficile point d’équilibre entre la satisfaction de son camp d’une part et la sauvegarde de la cohésion nationale d’autre part. L’essence d’une démocratie est un exercice modéré du pouvoir. Ce qui suppose la recherche constante de consensus. Là se trouve la base de ralliement des minorités à la règle de la majorité. Voilà ce qu’est la démocratie : elle est dans le consentement de la très grande majorité de la population qui accepte les règles du jeu qui ne lui sont pas nécessairement favorables.
Un sondage avant le vote de la réforme indiquait que 64% des israéliens étaient pour la recherche d’un compromis[1]. Pourtant, les partis politiques de la coalition ont finalement décidé de se passer des partis de l’opposition et de voter, seuls, le premier volet de la réforme. Or c’est ici que se trouve l’erreur d’appréciation d gouvernement. La règle de la majorité utilisée par la coalition gouvernementale pour faire passer sa réforme judiciaire était légalement admissible (sauf si la cour suprême vient elle-même dans les prochains mois à l’invalider) mais politiquement erronée. En démocratie, il y a la loi d’un côté et la pratique du pouvoir de l’autre. Lorsqu’un gouvernant entend modifier une règle du jeu majeure, ce qui est le cas lorsqu’il touche à l’équilibre des pouvoirs et donc au paysage institutionnel du pays, il ne peut pas le faire sur base du seul consentement de son camp mais doit aller au-delà de ce dernier pour conserver la cohésion nationale. Pour faire accepter sa décision sans fracturer la société israélienne, la coalition gouvernementale aurait dû rechercher le consentement de la grande majorité de la population et non pas la majorité de son propre camp par l’utilisation d’une règle de majorité alternative à celle utilisée.
C’est ce que le gouvernement n’a pas voulu entendre le 25 juillet 2023 en votant le premier pan de sa vaste réforme dans un Parlement vidé de tous les partis d’opposition avec un résultat symbolique de 64 voix pour et de 0 voix contre. En décidant de procéder de la sorte, la coalition gouvernementale a bien fait usage d’une pratique non démocratique de l’exercice du pouvoir.
Avec pour résultats deux effets mécaniques immédiats : la cohésion nationale s’est effritée à une vitesse telle que même que même le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah n’aurait jamais imaginé dans ses rêves les plus roses. Et la coalition gouvernementale a perdu une grande partie de sa légitimité[2] qui est pourtant essentielle pour gouverner (selon de très nombreux sondages la coalition actuelle est désormais donnée perdante et ne recueillerait plus que 52 sièges en cas de nouvelles élections)[3].
Le gouvernement israélien avait donc parfaitement raison de proclamer qu’en démocratie, c’est la règle de la majorité qui l’emporte. Il s’est juste trompé de règle.
[1] Prof. Tamar Hermann, Dr. Or Anabi: Only a Minority of Israelis Support the Proposed Judicial Overhaul, The Israel Democracy Institute, Feb 21, 2023
[2] Defeat the dictatorship’: Judicial reform protests resume across Israel, Jerusalem Post, Jul. 29, 2023
[3] Post Judicial Coup Election Polls Give Gantz 30 Seats, Netanyahu’s Gov’t Losing Majority, Haaretz, Jul 25, 2023, Half of Israelis think Ben-Gvir should be fired – poll, Jerusalem Post, March 12, 2023; Netanyahu’s Likud party plummets in local news poll, Reuters, Apr. 10, 2023
Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ?
Cela fait maintenant plus de six mois que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent inlassablement chaque samedi soir dans la rue Kaplan de Tel-Aviv contre la réforme judiciaire. Un rituel s’est installé dans la capitale économique et culturelle du pays : début du cortège vers 19h30 chacun apportant son drapeau israélien, deux ou trois slogans chantés, déclarations politiques sur grand écran puis retour chez soi vers 22h jusqu’au week-end prochain). Jamais une manifestation réunissant chaque semaine entre 150.000 et 250.000 personnes n’aura durée aussi longtemps dans un pays occidental. Contrairement à une idée savamment entretenue par les membres de la coalition gouvernementale en place, ces manifestants ne sont pas des « gauchistes ». La gauche n’existe plus depuis longtemps en Israël !
Ceux et celles qui descendent chaque samedi à Tel-Aviv sont en réalité des démocrates à l’avant-garde du combat contre les forces populistes arrivées début de l’année 2023 au pouvoir en Israël. Le pays est, depuis l’élection, coupé en deux et à la croisée des chemins : soit Israël se maintient dans le giron des démocraties libérales, soit il bascule dans un nouveau régime politique gouverné par la loi de D-ieu et le suprémacisme juif. Les manifestants de la rue Kaplan jouent donc l’avenir du pays.
La question palestinienne est pourtant quasi absente dans les manifestations. Cela s’explique par le fait que depuis la deuxième Intifada, les Israéliens se sont laissés convaincre, à tort ou à raison, qu’il était vain de chercher un partenaire palestinien pour la paix et que la seule solution acceptable passait non pas par un accord de paix mais par le maintien d’un conflit à basse intensité ». Pendant 20 ans, les Israéliens ont donc vaqué à leurs occupations quotidiennes tout en confiant aux gouvernements successifs de droite comme de gauche la mise en place de mesures coercitives fortes pour maintenir l’adversaire à distance respectable. Cette approche a été payante puisque le conflit israélo-palestinien qui structurait la vie politique israélienne jusque dans les années 2000 a, depuis, quasiment disparu des débats publiques. Pendant ce temps, la droite ultra-nationaliste et messianique avançait et commençait à gangréner la société civile israélienne. Au point d’arriver au pouvoir lors des dernières élections législatives.
Le réveil des démocrates est donc brutal. Mais la tentative du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël de modifier le régime politique pourrait bien in fine…déboucher sur une nouveau processus de paix avec les Palestiniens. Celles et ceux qui manifestent rue Kaplan les samedis soirs ne le savent pas encore, mais la question palestinienne va bientôt leur revenir en boomerang. Tous luttent pour le maintien des fondements démocratiques du pays. « DE-MO-KRA-TIA » est le slogan entonné chaque samedi soir. Or par démocratie, il faut entendre a minima Etat de droit, égalité des droits entre les citoyens et extension des libertés individuelles (notamment les droits des LGBTQ+). Ces principes démocratiques sont universels et ne s’adressent pas seulement à la population juive. Les manifestants ne peuvent pas vouloir le maintien de la démocratie israélienne tout en maintenant un régime d’occupation et d’oppression de 2 millions Palestiniens en Cisjordanie. Démocratie et occupation ne sont pas compatibles.
Lorsque les démocrates israéliens comprendront que les extrémistes juifs qu’ils combattent aujourd’hui politiquement sont les mêmes qui peuplent les colonies les plus reculées de Cisjordanie et qu’ils sont obligés de les défendre au péril de leur vie ou de celle de leurs enfants, gageons qu’une solution pérenne au conflit avec les Palestiniens se retrouvera à nouveau sur la table. Quelques pancartes et slogans en relation avec l’occupation mais aussi avec le droit des femmes et le mouvement LGBTQ+ commencent à fleurir dans les manifestations de la rue Kaplan. En démocratie tout est lié. C’est bon signe.
Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve.
Les défenseurs de l’Etat d’Israël aiment rappeler que ce tout petit pays à l’échelle de la planète est une pointure internationale dans de nombreux domaines : high tech, agriculture, technologie militaire, scientifique, médical, etc. Bref, une réussite et un motif de fierté pour de nombreux Juifs de Diaspora.
Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’Etat hébreu peut aujourd’hui se targuer d’être également en avance sur son temps dans le domaine politique. Tous les pays occidentaux sont confrontés à la montée des populismes et à la possible arrivée au pouvoir d’hommes n’ayant pas pour horizon politique le maintien du régime de la démocratie libérale. Israël est un précurseur sur le sujet puisque les populistes sont, depuis les dernières élections législatives de 2022, au cœur même des institutions démocratiques et en ont commencé le démantèlement : attaques incessantes contre l’intégrité des hauts fonctionnaires, y compris le procureur général et le gouverneur de la Banque d’Israël[1], pillage de milliards de shekels du budget de l’Etat pour financer des projets nationalistes et des écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les matières générales[2]. transformation de la police en milice politique fonctionnant selon les caprices d’un ministre raciste (Itamar Bern Gvir)[3], transfert des pouvoirs « civils » dans les colonies de Cisjordanie à un ministre colonisateur (Bezalel Smotrich)[4], relecture de tous les manuels scolaires par un membre du gouvernement ouvertement homophobe (Avi Maoz)[5]. La liste des lois liberticides s’allonge de jour en jour et l’Etat de droit vacille en Israël.
Si le ministre de la Justice Yariv Levin arrive à ses fins et fait voter son projet de réforme judiciaire visant à neutraliser la Cour suprême, Israël obtiendrait la palme du tout premier pays occidental à sortir définitivement du régime politique de la démocratie libérale. Sans la Cour Suprême pour se dresser sur sa route, la coalition gouvernementale actuellement en place en Israël aura les mains libres et pourra à sa guise sortir de l’Etat de droit, faire main basse sur tout le territoire de la Palestine biblique et y instaurer la loi de Moïse. Telle est d’ailleurs, selon l’actuel ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives: la mise en place d’une nouveau régime où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[6]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville. Bref, l’opposé d’un régime démocratique. De quoi faire rugir de plaisir Donald Trump et tous les suprémacistes blancs américains (Mike Pence, Ron DeSantis, etc.) qui se présentent les uns après les autres à l’investiture du parti républicain aux Etats-Unis.
Et les Juifs de Diaspora dans tout cela ? Aux Etats-Unis, ils protestent massivement contre les projets du gouvernement israélien au point que l’on évoque désormais une véritable cassure entre les Juifs américains et Israël[7]. En Europe, la situation est différente pour des raisons historiques. Un procès en illégitimité est généralement intenté aux Juifs de Diaspora qui osent adopter une position critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Sauf que cette fois, la réforme judiciaire ne concerne pas une affaire intérieure mais le cadre général même de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire le pacte commun qui fait liaison entre les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora. Le projet sioniste tel qu’imaginé par les Pères fondateurs (Herzl, Ben Gourion, etc.) est remis en cause par une coalition gouvernementale qui a un autre projet politique pour Israël. Face à ce danger existentiel, les Juifs de Diaspora ont l’obligation morale de sortir de leur devoir de réserve qui frise aujourd’hui le ridicule et de stopper par tous les moyens ce projet destructeur.
Car que les Juifs de Diaspora ne s’y trompent pas, si le projet de réforme judiciaire est voté, ce sera le prélude en Israël, soit à la guerre civile (le point de bascule a déjà failli avoir lieu en mars lorsque Benjamin Netanyahou a limogé son ministre de la Défense avant de se raviser face à la colère de la rue, la fronde de l’armée et l’annonce de la grève générale illimitée décrétée par le puissant syndicat Histadrouth), soit à un exode massif des Israéliens démocrates qui ne voudront pas vivre dans une théocratie. Avec en prime une restriction drastique de la Loi du Retour. Les ennemis d’Israël, et ils sont nombreux, se frottent déjà les mains.
[1] “Israeli Minister Blasts Bank of Israel Governor as a ‘Savage’”, Haaretz, Jun. 2023;
[2] Ilan Ben Zion: “Israel’s Netanyahu and allies pass new budget with sweeping grants for settlements, ultra-Orthodox”, May 2023, Associated Press (AP);
[3] Dan Williams: “Israël autorise la création d’une garde nationale réclamée par Ben-Gvir » ; Avr. 2023, Reuters ;
[4] Udi Dekel: “From Slow to Accelerated Annexation: Transferring the Civil Administration from the Minister of Defense to the Minister of Settlement”, Dec. 2022, Institute for National Security Studies (INSS);
[5] Lior Dattel: “Far-right Homophobic MK Avi Maoz Is Back in Israel’s Schools to Monitor Curriculum, Administrators”, May 2023, Haaretz;
[6] Yair Sheleg : “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.
[7] Yitz Greenberg: “Smotrich, Ben-Gvir are damaging Israel’s Jewish character”, Jerusalem Post, Oct. 2022
De quoi BDS est-il le nom?
La séquence politico-historique que nous vivons actuellement au Moyen-Orient est marquée par le naufrage du processus de paix d’Oslo entamé début des années quatre-vingt-dix qui avait pour ambition de régler le conflit israélo-palestinien par la création de « deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues ». La parenthèse d’Oslo presque refermée, d’autres propositions sont désormais posées sur la table pour régler ce que certains considèrent désormais le plus vieux conflit du monde : Etat binational, annexion unilatérale par Israël d’une partie des territoires situés de l’autre côté de la ligne verte de 1967, plan de paix américain, dit plan Kushner, dont le volet économique fut dévoilé lors d’une conférence à Bahreïn en juin 2019 tandis que son volet politique était dans le même temps renvoyé aux calendes grecques, etc.
L'irruption de BDS sur le devant de la scène
C’est dans ce contexte particulier que naît, se développe et désormais prospère la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, plus connue sous son acronyme BDS. Il s’agit d’une initiative lancée par un collectif regroupant 172 organisations et associations issues de la société civile palestinienne dont la Charte appelle la communauté internationale à boycotter l’Etat d’Israël jusqu’à ce que ce dernier respecte le droit international et mette un terme à l’occupation et à la colonisation.
Les oranges de l'apartheid
Dans les années 80, L’ANC de Nelson Mandela lançait un appel solennel aux Occidentaux pour boycotter les « oranges de l’Apartheid » en Afrique du Sud. Depuis le début de ce millénaire, BDS leur demande de poursuivre le même combat en boycottant cette fois les oranges de Jaffa. A l’instar des oranges sud-africaines, elles paraissent belles et juteuses mais la lecture de leur étiquette sur l’emballage révèle qu’elles proviennent en réalité d’un pays occupant qui oppresse un autre peuple.
BDS semble de prime abord aussi alléchant qu’une orange de Jaffa. Il dispose, sur le papier du moins, de tous les attributs pour combler les partisans à la recherche d’une solution politique négociée devant apporter la paix et la prospérité aux peuples de la région : le collectif se définit comme un mouvement citoyen dont l’action est ancrée dans les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, se dit novateur, performatif, pacifiste et antiraciste. Il se battrait uniquement pour que triomphe le respect du droit, de l’égalité et de la justice.
Il reste en revanche à vérifier soigneusement qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise et que la tenue d’apparat dans laquelle se drape BDS pour façonner son image auprès de la communauté internationale corresponde bien à la réalité. En analysant les différentes campagnes de boycott, on s’aperçoit très rapidement que le message envoyé par le collectif palestinien n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Soutient-il la solution politique de deux Etats ou nourrit-il d’autres ambitions ? Est-il le digne pendant du mouvement pacifiste israélien Shalom Archav ? Son boycott serait-il l’arme pacifique brandie par les plus faibles, les Palestiniens, devant permettre de rééquilibrer le rapport de force et contraindre le plus fort, Israël, au compris final ? Rien n’est moins sûr.
Une question sensible
L’objet même de notre étude est, nous le savons, une matière hautement inflammable. Comme tout ce qui touche de près ou de loin le conflit israélo-palestinien, les campagnes de boycott de BDS suscitent des débats passionnés dans le camp de ses partisans comme dans celui de ses détracteurs. Pour ses supporters, le collectif palestinien devrait recevoir le prix Nobel de la Paix tandis que pour le gouvernement israélien, preuves à l’appui, il ne s’agirait que d’un nid de terroristes. Quant à la grande majorité des représentants des communautés juives de Diaspora, l’antisionisme radical affiché par BDS ne serait que la face cachée de l’antisémitisme. Il convient de sortir de ces schémas de pensées qui empêchent d’analyser le collectif palestinien correctement.
Notre étude est destinée aux décideurs politiques mais également aux commentateurs (journalistes, experts, etc.) et plus généralement à tout eux qui souhaitent comprendre qui sont les acteurs et quels sont les véritables enjeux qui se cachent derrière la campagne de boycott de BDS. Elle a pour ambition de décrypter la mécanique de ce collectif palestinien et de proposer ensuite une toute nouvelle grille de lecture du mouvement : qui pilote BDS ? Comment le mouvement est-il structuré et organisé ? Quelles sont ses revendications politiques ? Est-il novateur ? Quelles sont ses filiations historiques ? Quelles sont les thématiques qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott ? Quelles sont les lignes directrices du boycott culturel et académique ? Etc.
Bref, de quoi BDS est-il le nom ?
Boycott d’Israël – BDS – ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
LES MANIFESTES DE BDS
Palestinian Civil Society Call for BDS, July 2005
BNC Statement : “Racism and Racial Discrimination are the Antithesis of Freedom, Justice & Equality” , March 2017
« United against Apartheid, Colonialism and Occupation. Dignity & Justice for the Palestinian People », October 2008
First Palestinian Conference For The Boycott Of Israel (BDS), November 2007
BDS et la LIBERTE D'EXPRESSION
arrêt de la CEDH, 11 juin 2020, affaire BALDASSI ET AUTRES c. FRANCE
BDS EN GENERAL
Joël Kotek & Alain Soriano (préface de Philippe Val): "De quoi le boycott d'Israël est-il le nom?", Ed. la boîte à pandore, Octobre 2020
Alain Soriano: "De quoi le boycott d'Israël est-il le nom?"; conférence en ligne, CCLJ, Novembre 2020
Le CRIF en conversation avec ... Joël Kotek et Alain Soriano, Septembre 2020
Omar Barghouti: "Why Americans Should Support BDS?", The Nation, July 2019
State of Israel, Ministry of Strategic Affairs and Public Diplomacy: "Special Report The ties between NGOs promoting BDS and terror organizations", February 2019
State of Israel, Ministry of Strategic Affairs and Public Diplomacy: "Special Report The European Union Financing Of Organizations Promoting Boycotts Against The State Of Israel", January 2019
Nathan Thrall: "BDS: how a controversial non-violent movement has transformed the Israeli-Palestinian debate", The Guardian, August 2018
Omar Barghouti: "Boycott is best response to illegal Israeli killings", The Irish Time, May 2018
Omar Barghouti : « La campagne B.D.S. vise à forcer Israël à se conformer au droit », L’Humanité, janvier 2017
Herman De Ley : « Le boycott d’Israël (B.D.S.), un devoir moral », BACBI-Dossier N° 3
Omar Barghouti: “ B.D.S.: Discussing Difficult Issues in a Fast-Growing Movement”, Al-Shabaka, juin 2016
Laurent Joffrin: "Les dessous d'un boycott", Libération, août 2015
Romain Geoffroy : « Qu’est-ce que le mouvement B.D.S., à l’origine des appels au boycott d’Israël ? », Le Monde, novembre 2015
Omar Barghouti « Face à Israël, la France est hypocrite », interview parue dans Le Monde, juillet 2015
Tia Goldenberg : “Boycott drive gains strength, raising alarm in Israel”, Associated Press, July 2015
Ramis Younis: "Interview : Omar Barghouti, l’homme à la base du mouvement BDS", juin 2015
Julien Salingue: "Alarmes israéliennes », Le Monde diplomatique", juin 2014
Catherine Gouëset: "Pourquoi le boycott commence à faire peur à Israël ", L'Express, Février 2014
Marc Tracy: “With All the Boycott Israel Talk, What is BDS?”, in New Republic, février 2014
Arthur Remion, « Le boycott économique, politique ou culturel d’Israël, une tendance en expansion », Le Huffington Post, août 2014
Willy Le Devin et Dominitque Albertini, « Les appels au boycott des produits israéliens ont-ils un effet ? », Libération, août 2014
Laurent Zecchini: « Le succès d’une campagne internationale de boycottage inquiète Israël », Le Monde, décembre 2013
Tribune: "Boycotter Israël, c’est lutter pour une paix juste", Le Monde, Novembre 2010
Tribune : "Le boycott d'Israël est une arme indigne" Le Monde, Novembre 2010
Omar Barghouti : "BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine", éd. La Fabrique, 2010
N. Erakat, « B.D.S. in the USA, 2001 – 2010 » in Middle East Report (MER), 2010
Omar Barghouti: “Relative Humanity: “The fundamental Obstacle to One-State Solution in Historic Palestine (1/2)”, in The Electronic Intifada, janvier 2004
APPEL DE PERSONNALITES AU BOYCOTT D'ISRAEL
Tribune publiée dans le monde : « Boycotter Israël, c’est lutter pour une paix juste », novembre 2010 en soutien à l’appel palestinien « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » de 2005 et signée en autre par Olivier Besancenot et Clémentine Autain.
Missive signée par 358 organisations européennes de défense des droits de l’Homme, des églises, des syndicats et des partis politiques adressée à la Commission européenne pour dénoncer la tentative de criminalisation de B.D.S. et marquer leur soutien au collectif palestinien ;
La déclaration de la F.I.D.H. reconnaissant et réaffirmant le droit des personnes à participer pacifiquement et à appeler à des mesures de B.D.S. pour protester contre les politiques d’occupation et de discrimination du gouvernement israélien.
Omar Barghouti: "Radiohead is art-washing Israeli apartheid", Al-Jazeera, July 2017
BDS & LE PROCESSUS DE PAIX
Communiqué du BNC du 02/11/2017
Omar Barghouti: "For Palestinians, the 1967 War Remains an Enduring, Painful Wound", The Nation, June 2017
Ben Dror Yemini and Asaf Gibor, « Abu Mazn Surprises : ‘We Do Not Support Boycott of Israel‘ » NRG, décembre 2013
Omar Barghouti: “Relative Humanity: “The fundamental Obstacle to One-State Solution in Historic Palestine (1/2)”, in The Electronic Intifada, janvier 2004
Déclaration co-signée par O. Barghouti: "The One State Declaration", in the Electronic Intifada
Déclaration co-signée par O. Barghouti: “Don’t deny our rights: open letter to Mahmoud Abbas ”, The Electronic Intifada, juillet 2010
Omar Barghouti : « Dissolve the Palestinian Authority », Counter Punch, Octobre 2009
BDS & LE BOYCOTT ECONOMIQUE
F.A.Q. de B.D.S. France: « Le Boycott n’est-il pas une punition collective contre tous les israéliens ? ».
BDS & LE BOYCOTT CULTUREL
Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », mai 2017
Jean Stern : « Mirage gay à Tel-Aviv », Ed. Libertalia, Paris, 2017
Déclaration du PACBI : « Les universités israéliennes profondément impliquées dans le massacre de Gaza : Boycott universitaire maintenant », août 2014
R.T. avec AFP : « La participation d’une israélienne à un festival marocain fait polémique, elle répond », Le Parisien, Septembre 2017
Richard Falk : « Israel’s New Cultural War of Aggression" May 2017
Lettre ouverte de BDS France pour dénoncer l’invitation d’un danseur israélien à la Biennale de la danse : « on ne danse pas avec l’apartheid », septembre 2016
Communiqué de BDS France : « La musique Klezmer ne doit pas être instrumentalisée par un Etat-voyou », septembre 2015
Anshel Pfeffer : “Academic boycotter to study in Tel Aviv”, The Jewish Chronicle online, April 2009
Lettre de l’AUDRIP au directeur de Sciences Po Rennes, disponible sur www.audrip.fr
ANTISIONISME VS ANTISEMITISME
Shany Mor: "Une forme d’antisionisme relève moins d’une idéologie que d’une vision du monde plaçant Israël au cœur du mal », Le Monde, Décembre 2019